Un rêve me hante. Je vais me présenter au prochain concours de Miss Univers. Avec ma quarantaine mûrissante, ma bedaine de père de famille, ma barbe courte et quelques rides qui, depuis longtemps, expriment autant mes soucis quotidiens que l’âge de mes artères, j’ai toutes mes chances. J’irai habillé comme je le souhaite. En costume strict, cravate de bon goût et chaussures de ville. Ou en bermuda et polo de plage. À moins que je ne préfère enfiler ma robe noire dont le rabat immaculé éclairera mon visage de candidat hors normes.

Que personne ne vienne me dire que je ne suis pas éligible, ni même admis à concourir ! Cette insupportable discrimination est punie par la loi, parce que nul n’a le droit d’instituer une différenciation fondée sur l’âge, les convictions religieuses ou politiques, le sexe, la race, la couleur de ma chemise ou la marque de ma voiture. Notre société en a décidé ainsi, et que je sois un individu de sexe masculin pour l’état civil n’y change rien.

À la limite, je n’ai même pas besoin d’exprimer ma conviction d’appartenir au genre féminin. Cela, aussi, serait une discrimination à l’encontre des bi, qui sont à la fois masculins et féminins, des trans, qui passent de l’un à l’autre et vice versa, des neutres, qui ne sont ni l’un ni l’autre, et de toutes les catégories que le cerveau humain n’a pas encore inventées. Même si j’ai bien conscience qu’il serait préférable que je m’affirme femme, sans doute en raison d’un vieux relent de sexisme dans le comité organisateur. Alors, soyons femme, sentons-nous femme.

À mes côtés participeront également de nombreux êtres asexués, bisexués, transexués ou cis-trans-genres, provisoires ou définitifs, munis d’attributs divers qui jamais ne signifieront une quelconque appartenance à une catégorie déterminée. Nous savons, depuis l’Urinoir de Marcel Duchamp, qu’une œuvre d’art naît à partir du moment où l’artiste le décide. Grâce au travail de nos amis LGBTQRSTUVX (qu’ils me pardonnent si j’en oublie), l’humanité enfin sortie de l’âge des ténèbres a appris qu’aucun déterminisme biologique ne peut supplanter l’idée que je me fais de moi-même. C’est ainsi que j’ai récemment embauché un Schtroumpf. Il se voit ainsi, bien qu’il ressemble à Gargamel et déteste la salsepareille. Ai-je le droit de le lui reprocher ?

Un seul obstacle risque de me faire trébucher : je ne suis pas espagnol.e. À la différence de mon ami.e Angela Ponce qui défendra les couleurs du pays voisin. Née dans un corps de garçon, opérée à de multiples reprises, elle s’est sentie femme très tôt. Aujourd’hui, avec tout ce qu’il faut là où il faut, elle est une femme. Sa magnifique chevelure blonde tombe en brushing impeccable sur une poitrine à faire rêver DSK. Sa taille de guêpe et ses cuisses interminables habillées d’une robe à faire tomber coupent littéralement le souffle. Angela est notre fierté. Elle proclame à la face du monde qu’un homme peut devenir femme, comme Conchita Saucisse, la femme à barbe, proclame le contraire aux vieux réactionnaires du monde entier. Et mon amie Angela sera la candidate de l’Espagne au concours de beauté Miss Monde… ce qui prouve que tout change dans notre vieux monde, et que, décidément, le pays du Xérès, des femmes en mantille et du Caudillo est pleinement démocratique et libéral.

Je crois avoir rêvé. Allons, un bon coup de rasoir, je noue ma cravate et je file travailler pour faire vivre mes enfants, ceux que l’unique femme de ma vie a portés et élève avec moi. Ils m’en seront reconnaissants. Mes filles comme mes garçons. Le vrai monde m’attend, pas le monde virtuel de quelques détraqués des hormones.

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06 juillet 2018 à 8:52

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