Le livre de l’été : Les Grands Excentriques, de Nicolas Gauthier (1)

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Comme chaque année, à l’occasion de l’été, Boulevard Voltaire vous offre des extraits de livres. Cette semaine, Les Grands Excentriques, de Nicolas Gauthier.

Extrait de la préface d'Alain de Benoist
Ces excentriques qui nous manquent cruellement…

Les excentriques dont Nicolas Gauthier a choisi de faire le portrait sont des excentriques célèbres et, disons-le tout de suite, des excentriques sympathiques.

Ce sont aussi des hommes de grand talent, et qui nous manquent cruellement aujourd’hui. Je n’en ai connu que deux personnellement : Salvador Dalí, à l’époque où celui-ci fréquentait assidûment Louis Pauwels (qui lui a consacré un livre), et surtout Jean-Edern Hallier, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler à L’Idiot international.

Dalí était convaincu que le centre du monde était la gare de Perpignan, et Hallier – que presque tout le monde appelait le « fou Hallier » – adorait réveiller ses amis en leur téléphonant avant sept heures du matin pour leur faire part de ses idées géniales et du dernier « coup » qu’il avait imaginé. Ceux-là, au moins, on ne regrette pas de les avoir connus. Comme le dit Nicolas, ils ont apporté une « pincée de vie » dans un monde qui en manque singulièrement.

Francis Blanche : Signé Furax !

Pierre Dac et Francis Blanche sévissent aussi en politique. Ce sera donc l’occasion de fonder le Parti d’en rire, dont la principale ambition est de "réconcilier les œufs brouillés", objectif que rend plausible la fusion d’avec une autre formation concurrente, le Parti sans laisser d’adresse. Notons qu’en 1965, Pierre Dac réitère seul la manœuvre avec le MOU, plus connu sous le vocable de Mouvement unitaire unifié, dont le slogan n’est autre que : "Les temps sont durs, vive le MOU !" Et Jacques Pessis de rappeler : "Sous la pression du général de Gaulle, que ce canular n’amuse pas du tout, Pierre Dac va se retirer en expliquant ainsi sa décision : “Jean-Louis Tixier-Vignancour se présente au nom de l’extrême droite. Dans la course à l’Élysée, il y a désormais plus loufoque que moi, je n’ai plus la moin­dre chance…”"

Chez Francis Blanche, la farce ne saurait se limiter aux seuls domaines politiques et radiophoniques ; car le public est dans la rue, également. De fait le voit-on souvent en compagnie de l’un de ses meilleurs amis, l’acteur Jean Carmet, arpenter les rues de Paris en quête d’un mauvais coup.

Et nous voilà, au tout début des années soixante, au Bon Marché, magasin très familial, situé dans le VIIe arrondissement de la capitale. Francis Blanche et Jean Carmet sont affublés de soutanes et de ces chapeaux ronds à larges bords, tels qu’arborés par les prêtres de l’époque.

Francis Blanche, très digne :
— Mademoiselle, où que c’est où, la lingerie féminine ?
— Deuxième rayon sur votre droite, mon père…
— Oh, putain, ça, c’est de la culotte ! s’exclame Francis Blanche, devant un étal de sous-vêtements.
— Voilà qui doit faire grimper papa sur maman, renchérit Jean Carmet.
— Et rendre maman hardie sous l’homme, conclut Francis Blanche tout en s’adressant à la vendeuse. Qu’en pensez-vous mademoiselle ?
« Mademoiselle » a le rose qui lui monte aux joues. Des clientes s’affolent, s’insurgent, protestent.
— Vieux cochons ! Sagouins ! Curés dévoyés !
Impérial, Francis Blanche lance à la cantonade :
— Rien à foutre ! On va chez le pâtissier se taper des religieuses !

Un autre jour à Paris, devant un théâtre. Jean Carmet et Francis Blanche arrivent, en faisant crisser les pneus d’une de ces grosses voitures américaines qu’il affectionne. Mais, difficile de réussir son créneau, à cause de cette 4 CV, malencontreusement garée à la place qu’il convoite. Du coup, Francis Blanche commence à fracasser la petite Renault à grands coups de pare-chocs, la réduisant peu à peu aux dimensions d’un coquetier, sous les regards indignés des passants.

Puis, insistant de plus belle :
— Salaud d’ouvrier ! Bagnole de merde !

Jean Carmet en remet illico une louche :
— Vas-y ! Rien à foutre ! On ne craint rien : c’est une voiture de pauvre !

Aussitôt, un attroupement se forme, tandis que s’éveille la conscience de classe. Les képis, à l’époque encore affublés de pèlerines et chevauchant d’antiques bicyclettes, arrivent sur les lieux du drame. Ils tentent de raisonner la foule, toute prête à lyncher l’ignoble exploiteur venu sucer la moelle des classes laborieuses. Là, tomber de rideau. Francis Blanche brandit la carte grise de la 4 CV et, impérial, lance à la rue qui gronde :

— Rien à foutre de cette chignole. Elle est à moi et, de toute manière, elle était destinée à la casse…

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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