Affaire Benalla : au-delà de la crise politique, François Bert apporte une analyse sur ce que cette affaire révèle de la personnalité du chef de l'État, dans le choix de son entourage et dans la gestion de l'événement.

Vous êtes spécialisé en ressources humaines. Vous avez publié Le temps des chefs est venu. D’après vous, que révèle l'affaire Benalla de la personnalité d’Emmanuel Macron ?

Elle révèle plusieurs choses.
On était habitué à l’éblouissement des discours et à la tendance de la start-up nation. Le collaboratif, où tout le monde trouve sa place et où celles et ceux qui sont mobilisés se croisent les uns les autres pour que tout le monde soit représenté. C'est la belle photo de la fête de la Musique.
À l'opposé de cela, on vient de mettre au jour un système radicalement opposé, quelque chose d’extrêmement dur et radical. Une police directement aux ordres avec un lien direct au prince, à qui on confie des missions précises et octroie des avantages particuliers très inquiétants, comme un accès direct à l’Assemblée nationale et à d'autres choses pour pouvoir directement informer le prince. La différence saute aux yeux.
L’image qui me vient à l'esprit est celle de Dorian Gray. Ce personnage troque son image contre celle d’un tableau. Ainsi, celui-ci prend petit à petit tous ses défauts les uns après les autres pour que lui garde une image parfaite. À travers Le Portrait de Dorian Gray, nous voyons à quel point il y a des craquelures dans l’image parfaite.

Peut-on se rappeler cette expression : dis-moi qui sont tes amis et je te dirai qui tu es ?

Oui, tout à fait. C’est une bonne illustration de la manière dont peut fonctionner un chef. Le fait de savoir s’entourer est une qualité pour le chef.
J’ai fait un parallèle très direct avec l’affaire de Villiers, qui a eu lieu il y a juste un an, et l’affaire Benalla. Un bon chef est obsédé par la mission. Il choisit donc des gens capables de le confronter, car son obsession est d’avoir un maximum d’éléments lui permettant de garantir la réussite de la mission.
Nous avons l’exact opposé de quelqu’un qui choisit des gens à sa dévotion, des disciples et des gens qui l’adulent. Mais c'est amusant de se rendre compte que ce sont ceux-là mêmes qui vont le perdre. Voir comment il a maltraité un grand serviteur de l’État qui a eu le malheur de lui rappeler son devoir, et voir comment il couvre quelqu’un qui a comme seul mérite d’être à sa dévotion, cela dit beaucoup de la personnalité d’un chef.

Privilégie-t-on la cour des admirateurs au détriment des capacités ?

Exactement. Il est très intéressant de voir le choix tel qu’il est fait, avec un rapport à la mission très problématique. Il y a également une absence totale de discernement dans la gestion de l’événement et de capacité à voir les enjeux.
Les différentes façons d'aborder les deux affaires à un an d’intervalle sont frappantes. La première avec une violence totale et la deuxième avec un silence absolu.
Emmanuel Macron ne se positionne pas pour construire une équipe opérationnelle pour servir la France, mais positionne un système à sa dévotion. C’est un peu un voleur de gloire. Nous l’avons vu avec Johnny, Beltrame et les Bleus. Il s’agglutine à tous les endroits qui vont lui permettre de réfléchir sa superbe. En revanche, il est absolument absent du cloître du discernement qui lui permettrait de choisir une vision. Nous ne voyons pas où il en est dans sa vision.
On ne veut pas des transes, on veut du sens. Et le sens, c’est l’action de bon sens et en silence.

Le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron a pourtant vanté les capacités et les qualités d’Alexandre Benalla. Il est, selon lui, un spécialiste en matière d’organisation. La pression peut-elle expliquer que cet homme, qui a peut-être beaucoup de qualités, a tout simplement pété les plombs ?

La plupart des gens sont remplaçables. La seule chose qui ne l’est pas, c’est la capacité, étape après étape, à voir les enjeux et à les conduire. C’est là-dessus que l’on attend un chef. Les gens sont remplaçables. Même les héros sont remplaçables, et les héros tout seuls ne servent à rien. En l’occurrence, là, nous n’avons pas du tout un héros.
Cette personne a certainement des qualités, mais je pense que je peux vous présenter trois mille légionnaires capables de faire l’affaire, et avec beaucoup plus de retenue dans la violence. Ces liens plus que particuliers avec Emmanuel Macron sont, eux, en revanche, très troublants et inquiétants.
Le fait que son maintien enclenche un tel danger d’image et de fonctionnement au niveau de l’État montre la légèreté de notre conception de l’action politique.

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25 juillet 2018 à 7:01

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