Une directrice d’école sanctionnée : pour délit d’opinion ou pour faute professionnelle ?

école maternelle

Quand on lit, dans la presse, qu'« une directrice d'école maternelle au Havre, en Seine-Maritime, sera mutée en juin après avoir critiqué la réforme de l'actuel ministre de l'Éducation nationale », la première réaction est de se dire que, décidément, le régime devient de plus en plus dictatorial et s'attaque à la liberté d'expression. Mais si l'on cherche à vérifier l'information, qu'on confronte les diverses versions de cette affaire, on s'aperçoit que ce n'est pas si simple et qu'il vaut mieux suspendre provisoirement son jugement. Non pas que, dans l'Éducation nationale, il ne puisse y avoir d'atteinte aux libertés : encore faut-il dénoncer le mal là où il se trouve.

Quels sont les faits connus ? Une directrice d'école adresse aux parents d'élèves un courriel critiquant la réforme Blanquer, depuis sa messagerie professionnelle – et non depuis sa boîte personnelle ou syndicale. La mairie, qui gère les écoles, en est prévenue, puis le rectorat. L'inspection académique engage une procédure disciplinaire. Le blâme, qui a été retenu, est une des sanctions les plus légères : inscrit au dossier, il est effacé automatiquement au bout de trois ans, sauf récidive. Quant à la mutation (un second groupe de sanctions prévoit le « déplacement d'office »), elle n'aurait pas été prononcée, mais la directrice aurait été invitée à réfléchir sérieusement à un changement d'établissement.

Faut-il croire à la version de l'administration ou à celle des syndicats qui ont pris la défense de l'intéressée ? Au moins faudrait-il savoir le contenu exact du message incriminé. Sur ce point, on ne dispose que de l'interprétation de l'inspection académique, selon laquelle « elle a diffusé des informations erronées et appelé à la mobilisation des parents d'élèves en arguant, justement, de sa fonction de directrice d'écol ». Les syndicats admettent que la directrice a commis une erreur, mais soutiennent que cette sanction, « injuste et disproportionnée », constitue une forme d'intimidation à l'égard de tous les enseignants.

Rappelons que tout fonctionnaire doit faire preuve de réserve et de mesure dans l'expression écrite et orale de ses opinions personnelles. Mais on ne peut dire que cette règle soit strictement appliquée dans l'Éducation nationale : les syndicats, entre autres, ne se privent pas d'aborder tous les sujets, même les plus politiques. Il est difficile de prendre parti, sans nuance, dans cette affaire dont on ne connaît pas tous les tenants et aboutissants. Ce qui ne signifie pas que, dans l'enseignement, il n'y ait pas d'atteinte à la liberté d'expression. Bien au contraire !

Ainsi, non seulement il n'est pas possible, devant certains élèves, d'aborder toutes les parties du programme, mais il est dangereux, plus généralement, d'émettre une opinion contraire à la doxa, fût-elle étayée par des arguments. Allez dire qu'il pourrait y avoir des aspects positifs dans la colonisation ou que l'immigration pose des problèmes : vous risquez fort de voir l'administration, des parents, des élèves et même des collègues se retourner contre vous et exiger des sanctions.

Si vous êtes stagiaire dans une ESPE (école supérieure du professorat et de l'éducation) et que vous ayez le malheur de contester son endoctrinement pédagogique, il ne faudra pas vous étonner de n'être pas titularisé. Et si vous en sortez en ayant sauvegardé quelque liberté d'esprit, un inspecteur, oubliant que son rôle est d'accompagner les professeurs comme un pair et non de leur imposer des manières de faire, vous rappellera vite à l'ordre. Le monde de l'enseignement, où devrait se construire la liberté, est un monde où la pensée unique se propage à tous les niveaux.

C'est cette « normalisation » des esprits, inhérente au système, qu'il convient d'abord de dénoncer.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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