[Tribune] Pourquoi les viticulteurs vont manifester à Bordeaux pour un « plan social »

vigne

Bien souvent, des manifestations sont organisées pour combattre les « plans sociaux ». Le 6 décembre, un collectif de viticulteurs de Gironde appelle au contraire à manifester à Bordeaux « pour un plan social », à savoir l’arrachage volontaire et subventionné de 15.000 hectares de vignes, sur les 110.000 que compte la Gironde.

À Bordeaux cohabitent plusieurs viticultures : d’un côté, la viticulture des crus classés en 1855 du Médoc et des Graves, des marques de luxe de Saint-Émilion ou de Pomerol, des vins de « haute couture » que le monde s’arrache, et, de l’autre, le « prêt-à-porter », les vins de tous les jours, que l’on trouve sur nos tables et sur celles de nos brasseries, dans les pubs, qui se battent à coups de centimes sur un marché international très concurrentiel, qui représente 80 % des échanges internationaux de vin. C’est cette seconde viticulture qui appelle à manifester le 6 décembre. C’est cette viticulture-là qui souffre de plusieurs crises.

Une baisse de la consommation structurelle voulue par l’État

Depuis trente ans et le vote de la loi Évin[1], les gouvernements successifs investissent des millions pour que la consommation d’alcool diminue. Comme le vin est la boisson alcoolique la plus consommée, c’est bien souvent le vin que l’on attaque. Symptomatique de cette ligne politique sanitaire, une campagne publicitaire de 2004 « Alcool : votre corps se souvient de tout » qui était tellement dirigée contre le vin qu’elle entraîna dans la rue des milliers d’acteurs de la filière, le 8 décembre, dans toute la France : Avignon, Angers, Tour, Blois, Nantes, Mâcon, Toulouse, Dijon et Bordeaux. J’avais pris la parole à Bordeaux, à l’époque, en tant que secrétaire général du Syndicat des viticulteurs de Bordeaux et Bordeaux Supérieur.

Cette lutte de l’État contre le vin a bien fonctionné puisque aujourd’hui, selon les résultats de l'étude Kantar, la consommation de vin rouge a diminué de 32 % depuis 2011, tous âges confondus ! Selon l’OFDT[2], sur la période 2000-2019, les volumes d’alcool pur (AP) par habitant de 15 ans et plus ont diminué de 18 %. La baisse a été de près de 25 % pour les vins et de 13 % pour les spiritueux. Il a, en revanche, augmenté de 9 % pour les bières. À force de taper sur le vin, la bière est devenue la boisson alcoolique préférée des Français (selon le baromètre 2022 Sowine/Dynata).

Si la consommation d’alcool a diminué en France, selon Santé publique France[3], « c’est essentiellement en raison de la baisse de la consommation quotidienne de vin ». Cela permet-il de lutter contre l’alcoolisme ? Pas si sûr puisque, selon les mêmes publications, « en France, on note une consommation régulière plus faible et une augmentation des consommations ponctuelles importantes ». À cela s’ajoutent, depuis quelques années, des attaques frontales contre les agriculteurs en général et contre la viticulture en particulier. Des attaques relayées par les médias, notamment sur des chaînes de service public.

Une baisse de la consommation conjoncturelle liée au Covid

Depuis deux ans, la viticulture subit de plein fouet la crise sanitaire du coronavirus. Les restaurants ont fermé dans le monde entier pendant des mois, parfois définitivement. Or, en France, la consommation en restauration, c’est une bouteille de vin sur trois ! À l’export, c’est une bouteille sur deux.

Le gouvernement a bien aidé les restaurateurs pendant cette période difficile. Mais leurs fournisseurs, les maraîchers, les viticulteurs, eux, n’ont pas été aidés, ou si peu. Il y a bien eu quelques petites exonérations de charges, quelques aides ponctuelles, des prêts garantis par l’État… Mais aujourd’hui, la date approche du remboursement de ces « PGE » et les viticulteurs craignent de ne pas pouvoir le faire : on ne peut pas durablement remplacer le chiffre d’affaires par des crédits.

Une difficulté à retrouver à l’export la consommation perdue en France

La France est le deuxième pays consommateur de vin au monde, avec 3,21 milliards de bouteilles consommées en 2021, sur les 30 milliards de bouteilles consommées dans le monde. Il est donc très compliqué de retrouver à l’export des marchés pour les millions de bouteilles qui ne sont plus bues en France. D’autant plus compliqué qu’il y a, aujourd’hui, plus d’une centaine de pays producteurs de vin. Il y en avait 35 en 1980.

La diplomatie française est plus occupée à vendre des avions (Rafale, Airbus) et des armes que du vin ! Pendant ce temps, d’autres pays, comme le Chili, sont beaucoup plus offensifs et mettent leur diplomatie au service de l’exportation des vins. Ils obtiennent notamment des droits de douane plus avantageux sur des marchés prometteurs. Lorsqu’elle négocie les accords internationaux, la France semble oublier que la filière viticole, avec 14,2 milliards[4], est à la seconde place des contributeurs à la balance commerciale[5] de la France, derrière l’aéronautique et devant les cosmétiques.

En géopolitique, le vin est très exposé. Chacun se souvient des taxes décidées par Donald Trump sur le vin français aux États-Unis en réponse aux aides apportées par l’Europe à Airbus. La « diplomatie du vin » est une diplomatie à mettre en place, comme il existe aujourd’hui une diplomatie de l’aérospatiale et une diplomatie du blé.

À suivre.

 

[1] La loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, dite loi Évin en référence à son instigateur Claude Évin, est une loi française qui vise à lutter contre le tabagisme et l'alcoolisme.
[2] Observatoire français des drogues et des tendances addictives
[3] 14 janvier 2020
[4] Année 2021/source CNIV
[5] Selon les douanes, le déficit de la balance commerciale française s’est élevé à 84,7 milliards d’euros en 2021, ce qui constitue un record historique !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 05/12/2022 à 21:37.
Yves d'Amécourt
Yves d'Amécourt
Chef d’entreprise, ingénieur de l’Ecole des Mines d’Alès, ancien élu local de Gironde 2004-2021 (conseiller général, maire, président d’EPCI, conseiller régional).

Vos commentaires

14 commentaires

  1. Le monde viticole souffre, les agriculteurs hollandais près des zones Natura 2000 sommés de vendre leurs terres, les industries durement touchées par des problèmes d’énergie créés de façon artificielle, les éleveurs cictimes des écolos dingos manipulés par Soros et les lobbies vegans, l’immigration qui nous assèche financièrement et contre laquelle on ne peut soi-disant rien.
    Quand est-ce qu’on quitte cette Europe qui ne nous veut que du mal ???

  2. Vous « oubliez » le plus important : le prix du vin. Octogénaire, dans ma jeunesse je ne privais pas de déguster des vins rouges, qui, sans être des grands crus classés, justifiaient d’une bonne réputation. Aujourd’hui, bien que mon niveau de vie n’ait pas baissé, bien au contraire, mes moyens ne me permettent plus l’accès à des appellations complètes : Pomerol, Pauillac, Saint Julien me sont interdits car je ne veux pas dépenser le prix de deux entrecôtes pour un frontignan. Un exemple : Larose-Trintaudon, Haut médoc, que j’ai acheté pendant des années à 10 €, est passé l’an dernier à 15 € et cette année à 25. Messieurs les viticulteurs, arrêtez de tirer sur la corde qui est en train de vous asphyxier et redevenez raisonnables.

  3. En alcool Je bois presque exclusivement du vin et parfois une bière. Il est vrai que j’essaie de limiter ma consommation aux occasions et en cela je correspond à cette nouvelle habitude qui est de ne pas consommer un peu tous les jours mais d’ouvrir une bonne bouteille de temps à autres. J’ai effectivement constaté que les prix s’effondrent surtout pour le Bordelais . Il n’est pas rare de trouver de bons Médocs à moins de 10 euros. Une surproduction qui fait le bonheur des grandes surfaces ? Par contre effectivement, cela marche parfaitement pour le Whisky qui est très consommé par les jeunes . Il bénéficie visiblement d’un bon lobbying en France . Pourtant il y aurait de quoi faire pour le vin dont les crus sont si différents les uns des autres et si enracinés dans notre culture ! Goutter un bon cru à l’apéro n’est pas tomber dans l’alcoolisme, c’est même le contraire !

  4. Au milieu de « cas-contacts » au COVID, j’ai bu du vin. Le COVID ne m’a pas atteint. Après avoir arrêté, je me suis fait avoir. Question : Le vin est-il plus efficace que les jus « bigpharma » pour combattre le COVID ?

  5. Bonum vinum laetificat cor hominis : Le bon vin réjouit le coeur de l’homme.

    Proverbe tiré d’un passage de la bible (Eclésiastique, XL, 20), dont le véritable texte est: Vinum et musica laetificant cor (Le vin et la musique réjouissent le cœur), et le texte ajoute : et plus que tous les deux, l’amour de la sagesse.

  6. Mes amis et moi mème soutenons ardemment la production viticole Française. D’ailleurs c’est 12h15 allons-y gaiement !

  7. Excusez-moi, j’ai commis une erreur dans mon message ci-dessous en employant le terme Apiculteur au lieu de Viticulteur.

  8. A BORRDEAUX en plus de JUPPE (complice de CHIRAC) qui a amené les « verts » les apiculteurs ont recruté un ‘Américain comme critique de leurs cépages. Ainsi, alors qu’il fallait au moins 2 à 3 ans de vieillissement en fut de chêne neuf pour avoir du bon vin, on trouve maintenant dans les commerces du BORDEAUX d’ 1 ou 2 ans
    Moi, j’ai encore des vieux crus dans ma cave, mais j’ai arrêté d’en acheter

  9. Il est certain que les rétorsions US visant l’exportation de vin n’a pas trop nui à l’Allemagne, l’Angleterre ni l’Espagne . Tous les gouvernements américains ont joué ainsi contre la libre concurrence avec -pour la France- la complicité de Bercy qui pourrait avoir la décence de ne pas enfoncer dans la boue la tête qui émerge et répondre aux States en sanctionnant lourdement le Coca-Cola .

  10. Pasteur disait : » le vin est la plus saine et la plus agréable des boissons ». Personnellement tous les midi mon épouse et moi buvons un verre de Bordeaux, de façon à assurer notre dose d’anti agrégants plaquettaires par l’acide acétyl salicilique contenu dans les tanins des Bordeaux corrects, et du temps où je faisais dans les années 60, un petit opuscule avait été édité par un professeur de médecine , intitulé ; la thérapeutique par le vin, mais je ne demande pas le remboursement par la sécurité sociale!

    • On a fait dire à Louis Pasteur ; »Le vin, c’est la France ; l’eau c’est la souffrance » (ou la sous-France ?)

    • Alcoologue j’avais appris qu’un confrère alcoologue lui même faisait de la prévention primaire de l’alcoolisme dans les établissements scolaires et universitaires en apprenant aux jeunes comment on déguste un vin.
      Personnellement j’ai toujours dit à mes patients qu’il était important de déguster un verre de vin midi et soir, du Bordeaux je suis chauvin.

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