[TRIBUNE] Le « guichet unique » : l’imbroglio plutôt que la simplification
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À l’heure où les Français demandent moins de bureaucratie et un service public de meilleure qualité, l’État a trouvé un mot magique : le « guichet unique ». Après 35 ans d’expérience dans le monde de l’entreprise, dont 17 ans comme élu local (conseiller général, maire, président d’EPCI*, conseiller régional), j’ai appris à me méfier de ces « guichets uniques », présentés comme la solution à tous les problèmes. C’est un peu le « couteau suisse » de l’administration. Mais, comme le couteau suisse, le guichet unique, derrière un abord attrayant, est un gadget qui répond mal à chacune des fonctions qu’on lui confie…
Ainsi, depuis le 1er janvier 2023, le site Internet de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) fait office de « guichet unique » pour les formalités d’entreprise en lieu et place d’Infogreffe. Prétendument mis en place pour « simplifier » la vie des créateurs et des chefs d’entreprise et leur permettre d’accomplir leurs formalités en ligne, après quelques mois d’utilisation, il se révèle très loin des attentes des utilisateurs.
Sur le guichet unique de l’INPI, rien n’est simple !
Impossible de modifier les statuts d’une entreprise sans être obligé de procéder à une révision globale. Idem si l'on veut ajouter, en complément d’adresse, la nouvelle adresse que La Poste a imposée à tout le monde, un peu partout en France, dans les zones rurales. Non seulement la lettre du maire vous indiquant que vous aviez une nouvelle adresse ne suffit pas, mais, en plus, le site exige la tenue d’une assemblée générale extraordinaire pour prendre acte de la décision de La Poste et du maire ! Quand un auto-entrepreneur souhaite ajouter une activité à celles déjà identifiées, on lui propose tout ou presque, sauf l’activité souhaitée. Idem pour ce groupement forestier qui, à la demande du service des impôts des entreprises, pour pouvoir récupérer la TVA non perçue (sic), souhaite ajouter « sylviculture » à ses activités (re-sic). On lui proposera toutes sortes d’activités, de la location de meublés touristiques au cours de natation, qui ne sont pas, loin s’en faut, dans le champ des activités de la gestion forestière, sauf l’activité recherchée … la « sylviculture » !
Dialogue ubuesque d’un gérant de groupement forestier avec le service des impôts des entreprises :
- « J’ai bien reçu le CERFA, mais le problème, Monsieur, c’est que sans cette activité "sylviculture", je ne peux pas vous verser la TVA non perçue ! »
- « M’enfin, nous sommes un groupement forestier ! La sylviculture, c’est notre métier et c’est pour l’exercer qu’on a créé un groupement forestier. »
- « Peut-être, mais ce n’est pas dans vos statuts ! »
- « C’est un peu comme si vous demandiez à une société civile immobilière d’inscrire "gestion immobilière" dans ses statuts. Et puis, j’ai bien essayé de l’ajouter, cette activité sylviculture, à nos statuts sur le guichet unique de l’INPI, mais je n’y arrive pas. »
- « Oui. Nous sommes au courant. On nous rapporte que c’est très compliqué. »
e-harcèlement par l’échec
Sur le guichet unique de l’INPI, de très nombreuses formalités sont en échec… Mais cela n’empêche pas le robot de l’INPI d’envoyer deux courriels par jour au pétitionnaire pour lui rappeler qu’il a une procédure en cours ! Puis à Infogreffe d’envoyer une facture au pétitionnaire pour « formalité non accomplie » ! Une sorte de e-harcèlement par l’échec !
Un notaire se plaint : « Avant, nous avions un service d’accomplissement des formalités qui fonctionnait. Désormais, nous avons une collaboratrice qui s’arrache les cheveux devant le guichet unique de l’INPI ! »
Rien ne va plus …
Les dossiers de rejet de création d’entreprise tombent à foison, ainsi que les impossibilités de réaliser certaines formalités.
Ayant reçu le message « Vous avez ajouté une nouvelle activité dont la date est antérieure à la création de l’entreprise » comme motif de rejet de sa formalité, un chef d’entreprise constate que la date de création de l’entreprise enregistrée sur le site de l’INPI n’est pas la bonne. Il tente de la changer - en vain. Il se résout donc à changer la date de la nouvelle activité…
Et puis il y a la signature via « l’identité numérique ». Rien de plus simple !
La hot line de l’INPI : « Monsieur, pour bénéficier de l’identité numérique, il vous "suffit" de vous connecter à l’INPI, non par l’accès direct au guichet unique, mais en passant par France Connect en cliquant sur le bouton "identité numérique". Pour cela, il faut avoir un téléphone portable et/ou accès à l’application "identité numérique de La Poste". »
Le pétitionnaire : « Ah oui, c’est le même système que pour faire une procuration quand on vote ? »
La hotline : « C’est le même principe, mais ce n’est pas le même système, pour voter, c’est "France Identité". Mais pour bénéficier de France Identité, il faut avoir une carte nationale d’identité au format carte bleue avec une puce. Tandis que ce n’est pas exigé pour l’identité numérique de La Poste... »
Rejet du guichet unique de l’INPI : comment faire ?
Qui se regarde se désole. Qui se compare se console… « Rejet du guichet unique de l’INPI : comment faire ? » : ce titre d’une rubrique sur le site LegalPlace permet de se sentir moins seul et de déculpabiliser. Je cite : « Si votre dossier de formalités a été complété scrupuleusement, que toutes les pièces justificatives requises ont été transmises et que vous disposez de la signature "identité numérique" de La Poste, via France Connect, si ces éléments sont correctement vérifiés, il est possible que cela fonctionne, mais il est possible, aussi, que vous vous retrouviez face à un dysfonctionnement de l’INPI. » Le problème est que les formalités liées aux entreprises sont généralement assorties de délais à respecter, et les troubles sur le site de l’INPI peuvent faire perdre un temps précieux aux entrepreneurs actuels et en devenir !
Comme le signale le site LegalPlace, « le site de l’INPI ne prend pas en compte les spécificités de certaines formes juridiques » ! Il est actuellement très difficile de l’utiliser sans se voir opposer un rejet par l’INPI, et aucune alternative n’est proposée par les services concernés : toutes les démarches sont à réaliser sur le site de l’INPI. C’est logique, puisqu’il est unique ! Fini, donc, le coup de fil à la CCI ou au greffe du tribunal pour sortir de l’impasse… C’est l’effet « guichet unique » !
Reste à savoir et à comprendre pourquoi le gouvernement a fait le choix de confier ce guichet unique à l’INPI, dont la spécialité était, jusqu’ici, la protection des brevets, des marques et des modèles… et qui fonctionnait bien. Alors que la France compte une multitude de start-up dans l’innovation numérique et l’intelligence artificielle, il est curieux que l’État mette en ligne une plate-forme aussi archaïque et totalement étrangère aux canons de l’ergonomie cognitive. La standardisation consiste à apporter des réponses identiques à des problèmes identiques, pas à imposer des solutions identiques à des problèmes différents !
Bientôt un guichet unique pour l’entretien des haies
Il y a quelques mois, en réponse aux manifestations agricoles, le gouvernement envisageait, en guise de nouvelle simplification, dans la loi d’orientation agricole, de créer un « guichet unique » pour l’entretien des haies ! L’objectif étant d’expliquer aux professionnels comment s’y retrouver dans les 14 normes et réglementations qui encadrent la taille des haies en France : celle qui interdit de tailler les haies après le 31 mars, celle qui impose de les débroussailler avant le 31 août, celle qui interdit de détruire un habitat futur, etc. Ce guichet-là fut dissous avec l’Assemblée nationale !
Quant au guichet unique de l’INPI, « inique » devrais-je dire, il nous ferait presque regretter les bons vieux CERFA que Bruno Le Maire, le 6 mars dernier, a décidé de supprimer, avant d’être dissous, lui aussi, par le président de la République.
La simplification ne se satisfait pas de mesures gadgets. C’est un travail de fond à accomplir avec les premiers acteurs concernés, ceux du terrain, dont le témoignage est essentiel pour permettre aux décideurs de décider et aux concepteurs d’innover sur la base de la compréhension des besoins.
* EPCI : établissement public de coopération intercommunale
23 commentaires
Il y a encore 30 ans l’INPI était super : Collaborateurs qualifiés, résultats rapides dans tous les domaines. En 2024 ceux qui s’y frottent ont l’impression que la seule justification de cette entité est de donner des fins de mois à tout l’effectif important en dépit de l’informatisation.
On en a licencié pour moins que ça ! Le contribuable a bon dos et si il contribuait un peu moins la bureaucratie n’aurait pas les moyens de faire autant de bêtises : la sobriété est aussi une vertu politique .
Le problème fondamental est que tout cela est piloté par des énarques hors-sol et par des bureaucrates ministériels ayant atteint leur premier niveau d’incompétence (en remerciement de leur servilité).
On crée des « machins », si possible informatiques pour faire compliqué, opaques et hermétiquement savants; On embauche des petits fonctionnaires auparavant au chômage, bien inemployables, niveau CAP de comptable ratés (égale niveau licence voire maîtrise de lettres modernes actuellement); et roule ma poule, démerden Sie sich ! ( et on fait de la pub officielle pour la trouvaille moderniste) : résultat : la stagnation marécageuse et l’impossibilité institutionalisée d’avancer..
De quoi décourager tout esprit d’entreprise ! La France en crève, de cette dictature des petits hommes gris cachés derrière la dictature du 2.0.
Ce genre de situation n’est pas nouvelle. En effet rappelez-vous entre autres la fusion ANPE-ASSEDIC, le RSI etc. Des missions de services publics étant confiées à des personnes n’ayant aucune compétence professionnelle particulière dans les domaines concernés, cela ne peut qu’aller à vau l’eau !
C’est la même chose avec le registre nationale des copropriétés. J’ai mis 2 mois pour arriver à créer mon compte et maintenant depuis plusieurs mois impossible d’accéder à ma copropriété (je suis syndic bénévole). Elle n’existe pas, aucune n’existe d’ailleurs. Bien sur pas de réponse de l’aide.
Ah, la France administrative !! Un vrai régal. Avec plus de 5 millions de fonctionnaires, on en est à en inventer numériquement ! Faites, si vous le pouvez, le tour de toutes les plateformes numériques du gouvernement dotées d’un disque d’enregistrement (tapez1, tapez 2, …) et essayez de « garder votre calme ». Maintenant, demandez-vous pourquoi ce pays est en faillite.
J’ai eu le malheur de recourir au guichet unique pour liquider une SARL. Normalement c’était une bonne semaine avec Infogreffe . Avec l’ INPI, 6 mois et 70 euros que j’ai renoncé à me faire rembourser après 12 mois de galère. Heureusement que Infogreffe est revenu au secours de l’INPI sinon j’y serais encore.
Il y environ dix ans, faire faire sa carte grise n’était pas toujours simple : il suffisait de passer un peu de temps à la préfecture, d’avoir les bons documents et de s’acquitter, bien sûr, des taxes. Aujourd’hui, avec la dématérialisation et la fumeuse « simplification », souvent cela ne suffit plus : c’est devenu un imbroglio administratif tel que, le plus souvent, il faut encore payer une société tierce pour effectuer les démarches à votre place. Elle n’est pas belle, la France de la simplification administrative. Mais au fait, y a-t-il toujours autant de personnels dans les préfectures ?
Ça me console d’être rangé des voitures. Kafka n’aurait pas osé
J’avais un dossier administratif à déposer pour mon branchement électrique. Je suis donc allé le déposer directement à l’usine à gaz près de chez moi. J’ai bon espoir d’avoir une réponse satisfaisante demain.
Typiquement français , pourquoi faire simple quand ça va de faire compliqué.
Bienvenue en France,nous sommes à votre service………..
Selon le vieil adage : « bon à tout=bon à rien ! »