Taguer les radars ? S’en prendre stérilement aux conséquences sans s’attaquer aux causes

« Tagueur de radars » ? Kezaco ? Il suffit de lire L’Est républicain du jour pour obtenir quelques précisions sur ce curieux hobby qui consiste à recouvrir de peinture nos fameux radars bourgeonnant un peu partout sur les bords de route de notre cher pays, ce, pour des motifs de pure rébellion, d’insubordination civique et de résistance à l’oppression routière.

Son inventeur s’en explique dans un entretien confié au quotidien lorrain : "J’ai tagué dix radars à la peinture orange entre octobre et décembre 2017. […] Et j’ai tout fait pour me faire prendre. […] J’en avais marre de me faire flasher pour de petits excès de vitesse de quelques kilomètres par heure, de perdre 90 € à chaque fois et de perdre des points [trois seulement, selon ses dires, NDLR]".

Cet animateur d’une salle de « sport, musique et spiritualité » à Dole confesse s’inscrire dans une démarche aussi altruiste que justicière : "Je l’ai fait aussi pour l’ensemble des automobilistes qui paient un million d’euros par an à l’État et ont besoin de leur voiture pour aller au boulot."

Surtout notre quinquagénaire se pose-t-il implicitement comme un conducteur hors pair n’hésitant pas à défier délibérément toutes les contraintes de la pesanteur légale et réglementaire qui enserrent le Code la route. Ainsi se vante-t-il de ne pas "condui[re] comme les autres automobilistes qui sont bêtes et disciplinés. Moi, je réfléchis. Je conduis depuis l’âge de 18 ans. […] Je n’ai jamais eu d’accident. Mais quand il y a une ligne blanche à bouffer, je la bouffe. J’ai fait du rallye, j’ai l’habitude de rouler."

Et notre original d’enchérir : "Si je prends certaines libertés, je ne les prends pas toutes. Je m’interdis d’être en survitesse. Si une route est sinueuse, par exemple, je pourrais très bien être en dessous de 50 km/h même si la vitesse autorisée est de 90 km/h. Par contre, dans une belle ligne droite sans risques, même limitée à 50 km/h, je peux être largement au-dessus."

Et, enfin, d’assener que "personne ne va faire comme moi parce qu’on a affaire à une troupe de moutons bêtes et disciplinés. On fonctionne sur le système de la peur pour qu’ils ne réagissent pas. Aujourd’hui, le réseau routier est sûr, les véhicules sécurisés. Le problème de la conduite automobile, c’est la formation. Les automobilistes ne sont pas formés à la réactivité."

Les familles ou proches d’accidentés de la route, morts ou irréversiblement et gravement handicapés apprécieront cette approche plutôt libertarienne et individualiste de la conduite automobile. Car si l’on peut éventuellement comprendre l’exaspération de cet usager quelque peu dissident, il semble difficile de souscrire à son propos.

Nul ne conteste l’activisme particulièrement vétilleux de l’État qui préfère laisser passer le chameau de la grande délinquance suburbaine et filtrer drastiquement le moustique de l’automobiliste un peu distrait. Mais les radars ne sont que la partie apparente d’un iceberg bien plus massif qui englobe notre civilisation du « bougisme ».

La saturation du réseau routier et autoroutier hexagonal, la sévérité de façade à l’égard des infractions au Code de la route (nous pensons, par exemple, que tout retrait de permis doit être définitif et qu’une conduite sans permis doit automatiquement conduire à un emprisonnement réel, ou que la perte de trois points pour non-respect des distances de sécurité soit également irrémissible), l’incroyable retard de notre pays en matière de ferroutage, l’insuffisance dramatique du réseau de transport en commun, notamment dans les zones périphériques – sans oublier la cherté souvent injustifiée des trajets –, la tartufferie structurelle d’un système permettant de rouler dans des véhicules toujours plus performants tout en déplorant les pics de pollution ou la mortalité routière, tout cela concourt à faire de nos route et autoroutes le plus grand asile d’aliénés de France, quand elles ne constituent pas un enfer quotidien !

Nous attendons depuis longtemps un vrai ministre des Transports et de l’Aménagement du territoire dans un pays souverain…

Aristide Leucate
Aristide Leucate
Docteur en droit, journaliste et essayiste

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