Sœur André est morte, dans son sommeil, dans la nuit de lundi à mardi. « Le Bon Dieu m’a oubliée ! » s’exclamait-elle, tous les 11 février, date de son anniversaire - et de celui des apparitions de Lourdes -, lorsque les télés venaient lui tendre le micro, dans son EHPAD Sainte-Catherine-Labouré - une autre apparition - à Toulon.

Le Bon Dieu s’est donc souvenu d’elle. Le youtubeur sportif Tibo InShape, qui l’avait rencontrée en octobre 2021, a rendu ces dernières heures un vibrant dernier hommage à cette athlète de Dieu dans la catégorie course de fond. Sœur André a donc retrouvé sa sœur jumelle, décédée à 18 mois mais qui, disait-elle en 2018 dans un entretien à La vie, lui « manquait encore », et son frère aîné, ancien combattant du Chemin des Dames, auquel elle était très attachée et dont elle avait « volé » le prénom. À l’annonce de sa conversion puis de son entrée au couvent, celui-ci « avait pleuré, [lui] en avait voulu. Puis avait accepté » (Famille chrétienne).

Il faut dire que Lucile Randon, née à Alès en 1904, était fille d'un instituteur protestant. Dans son essai Où en sont-elles ? Une esquisse de l'histoire des femmes, Emmanuel Todd émet l’hypothèse que si notre féminisme puritain a pris naissance dans les pays protestants, c’est parce que la condition des femmes y était plus difficile : les jeunes filles, explique-t-il, contrairement à celles des pays catholiques voisins, ne pouvaient pas, par exemple, éviter la perspective d’un mari encombrant en devenant… religieuses. Ne dit-on pas que Thérèse d’Avila, en entrant au couvent, se réjouissait d’échapper au destin de sa mère ? Ce n’est sans doute pas pour cela que sœur André s'est convertie puis a frappé chez les filles de la Charité, mais on peut noter au passage qu’aucune féministe ne lui a rendu ce matin hommage, en dépit de son nom en religion dégenré - les religieuses ont été précurseuses dans ce domaine, combien de Mères Saint-Jean-de-La-Croix ? - et de sa performance : s’il est un domaine dans lequel les femmes sont championnes, c’est bien celui-ci.

La Japonaise Kane Tanaka a précédé sœur André sur le podium de la longévité. Et c’est aujourd’hui l’Espagnole Maria Branyas qui lui succède. La doyenne est morte, vive la doyenne ! Une fois de plus, le mot est au féminin, car depuis 1955, comme le montre la liste établie par le Gerontology Research Group qui tient à jour la liste des personnes supercentenaires, et sur lequel s’appuie le Livre Guinness des records, 57 des 64 doyens… sont des doyennes. Une inégalité entre les sexes que ne saurait réparer aucune théorie du genre : se sentir femme dans sa tête n’y suffira pas. La France compte 6 victoires dans ce concours, dont la lauréate internationale, Jeanne Calment. Preuve, peut-être, que l’on y vit dans de meilleures conditions sanitaires qu’ailleurs, preuve aussi sans doute que l’état civil, héritier des registres baptismaux, y est bien organisé, et depuis fort longtemps : certains pays voudraient se prévaloir d’avoir fourni à l’humanité une doyenne, mais l’absence d’acte de naissance digne de son nom les en empêche.

On pourrait du reste, en ce contexte de réforme des retraites, relever dans cette constatation une discrimination… à l’endroit des hommes : ceux-ci profiteront moins, en moyenne, de leur retraite. Au-delà d’une robustesse naturelle, rajoutons, puisque l’on parle de pénibilité au travail, que les femmes embrassent rarement le métier de couvreur, ramoneur, peintre en bâtiment, éboueur… dans ce domaine, la parité est peu respectée mais ne fait l’objet d’aucune récrimination féministe.

Sœur André ne s’est pourtant pas ménagée, le développement personnel et le care lui étaient étrangers, ce sont rusticité et oubli de soi qui lui ont réussi. Toute sa vie, elle a été infirmière, de ces infirmières qui tenaient les hôpitaux autrefois, qui en ont été chassées et dont on se prend à regretter aujourd’hui l’abnégation totale, la corvéabilité à merci et le moindre coût...

Pour la sociologue Isabelle Jonveaux, auteur de Moines, corps et âme : une sociologie de l’ascèse monastique contemporaine (Bayard, 2018), les religieux vivent plus longtemps que la moyenne : « C’est une vérité historique », déclare-t-elle dans La Vie. Et leur emploi du temps bien réglé n’y est pas étranger.

En 2015, elle avait déclaré à l’émission « Quotidien » « prier pour tous les journalistes, pour qu’ils soient raisonnables ». L’objectif n’est pas tout à fait atteint, convenons-en. Souhaitons qu’elle poursuive cette mission essentielle là-haut.

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18 janvier 2023 à 20:58

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20 commentaires

  1. Un bel hommage. Soeur André avait de l’humour. Elle avait l’âge de la retraite en 1981, mais elle ne l’a pas prise (je ne prend pas ma retraite à 60 ans). Elle a donné de sa personne et a aidé de son mieux. .

  2. Madame Cluzel, soyez remerciée pour votre humanité de rendre ainsi hommage à Soeur André qui doit être un exemple pour nous tous.

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