Réforme des retraites : un conflit entre soi
Une fois de plus, les Français sont les otages d’un conflit « social » en circuit fermé. D’un côté, le gouvernement tente d’imposer une réforme « paramétrique », autrement dit de surface, dont le principal élément est le recul de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite. De l’autre côté, les syndicats du secteur public se préoccupent de défendre les « acquis sociaux » et les « intérêts catégoriels » de leurs adhérents. Tous les protagonistes ont en commun d’appartenir à l’État ; en somme, on se bagarre entre soi. Les autres Français sont conviés à assister au spectacle, dont ils font les frais à la fois en tant que contribuables appelés à financer par leurs impôts les retraites du secteur public et en tant qu’usagers (il serait plus juste d’écrire « usagés ») des services publics en grève.
L’hypocrisie de cette situation a deux faces, comme Janus : aucun des deux partis n’affiche ses véritables objectifs.
Élisabeth Borne feint de réaliser une réforme juste et visant à l’équilibre financier, mais les faits démentent ces allégations. En fait d’économies, le recul de l’âge de départ à 64 ans est redondant avec l’allongement progressif de la durée de cotisation à 43 ans prévu par la réforme Touraine de 2014. Il apportera un peu d’oxygène aux finances publiques sans résoudre durablement le problème du financement des retraites. Et en fait de justice, les avantages des principaux régimes spéciaux, ceux de la fonction publique, sont maintenus pour éviter d’engager un conflit irrémédiable avec les syndicats, et continueront à grossir le déficit de l’État.
Peu importe : pour le gouvernement et les technocrates de Bercy, il s’agit surtout de montrer aux créanciers de l’État qu’ils peuvent continuer à lui prêter sans risque, car il est capable d’imposer sa volonté aux Français (en 2016, avant l’élection d’Emmanuel Macron, la dette publique atteignait un peu moins de 2.200 milliards d’euros ; en 2023, elle dépassera 3.000 milliards d’euros).
Quant aux syndicats, ils manifestent à l’âge de départ à 64 ans une opposition beaucoup plus vive qu’ils n’en avaient marqué à la réforme Touraine, qui aboutissait pourtant à un résultat similaire. Surtout, dans le cadre de la gestion paritaire de l’Agirc-Arrco, les mêmes centrales avaient signé, le 30 octobre 2015, un accord interprofessionnel instaurant un malus de 10 % pendant trois ans sur les pensions des affiliés qui prennent leur retraite dès l’année où ils remplissent les conditions du taux plein. Autrement dit, pour échapper au malus, une personne qui a toutes ses annuités à 62 ans, doit différer son départ à la retraite jusqu’à 63 ans ; celle qui a ses annuités à 63 ans, attendre 64 ans ; etc. Les salariés du privé prolongent donc leur activité jusqu’à 63 ans au minimum s’ils ne veulent pas voir leur pension amputée. Pour justifier cet accord, les syndicats avaient argué de la nécessité de maintenir l’équilibre financier du régime pour éviter la faillite (le même souci, louable, les a conduits, en trente ans, à diviser par deux le rendement du régime Agirc-Arrco). Mais sont-ils aujourd’hui les mieux placés pour reprocher aujourd’hui au gouvernement d’utiliser le même argument ? Faites ce que je dis, pas ce que je fais !
En revanche, lorsqu’il s’agit de défendre les avantages des fameux régimes spéciaux du secteur public, structurellement déficitaires et financés par le contribuable, les syndicats deviennent le fer de lance du « mouvement social » pour montrer à leurs adhérents qu’ils défendent au mieux leurs intérêts. Or, ils recrutent essentiellement dans le secteur public, où l’État-employeur leur assure des conditions des développement très favorables. En 2019, le taux de syndicalisation s’élevait à 18,4 % dans la fonction publique, contre 7,8 % dans le secteur marchand et associatif (encore ce dernier taux englobait-il les entreprises publiques, où les syndiqués sont nombreux, en particulier dans les transports publics). Si la réforme passe - ce qui est probable -, les syndicats pourront se targuer d’avoir préservé les régimes spéciaux de la fonction publique et obtenu par la négociation de substantielles négociations.
De cet entre-soi d’apparence conflictuelle, le gouvernement et les technocrates de Bercy sortiront gagnants, les syndicats du public aussi… et il ne faut pas être grand clerc pour comprendre quels seront les perdants.
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36 commentaires
très très bon article, ne serait-ce déjà par le titre « un conflit entre soi » , qui met en lumière la malhonnêteté des syndicats, la malhonnêteté du gouvernement … dommage que cette réalité là ne soit pas expliquée par les médias qui enferment le débat sur l’âge de départ , sans jamais s’indigner sur l’inégalité de traitement entre le public et les régimes spéciaux d’un côté et le privé de l’autre … merci Eric Letty , bravo bld Voltaire …
Plus le temps, plus il y a des retraités. Un élève de Lycée moyenment doué en mathématiques peut facilement
comprendre qu’il est de plus en plus difficile d’équilibrer les comptes !
Quand Macron en Campagne en 2017 a annoncé dans son Programme la retraite par Capitalisation, j’ai failli y croire. ça correspondait au personnage, à son cursus, mais je n’y ait pas cru qu’il y pense vraiment, qu’il puisse le faire, et qu’il fasse bien mieux que la Droite, enfin l’UMP ou L.R. qui n’est pas la Droite….Donc ce sera à peu près celle voulue par L.R., encore une imposture de plus…..En attendant ne nous plaignons pas trop, car déjà dans tous les pays de l’U.E. ils sont déjà au moins à 64 ans
Aux U.S.A. qui nous envoie ses Conseillers payés une fortune Mc Kensey ils sont déjà à la retraite par capitalisation, et ils ne s’en plaignent pas. Avec ces Retraites par Capitalisation, la France serait indépendante financièrement et de loin….Nous sommes la roue de secours des U.S.
Les lâches au pouvoir : obliger à la vaccination les soignants mais pas assez courageux pour imposer le contrôle technique des 2 roues , modifier les retraites du privé encore et toujours mais ne pas ôser s’attaquer aux régimes des nantis et des élus . Allez Macron du courage et de la fermeté pour s’attaquer à ces deux problèmes , y mettre autant de détermination que pour la vaccination , montré qui est le chef et s’ils osent manifester eh bien les emmerder et imposer sa volonté . Nous avons pendant la crise du covid que face à certains il a réussi alors courage et fermeté face aux autres .
C’est amusant de dénigrer les syndicats sous le prétexte qu’il y a peu d’adhérents.
Vous posez-vous la question de la représentativité des partis politiques sous l’angle du nombre d’adhérents ?…
Et que de caricature quand on parle de fonctionnaires tellement les situations sont diverses tout comme les fameux régimes spéciaux de retraite dont les gens parlent sans connaître les mécanismes et leurs financements.
Et pour les soixante-huitards anti-militaristes égarés sur ce site, les militaires ne sont pas des fonctionnaires mais des contractuels au statut précaire que l’on s’empresse de ne pas renouveler pour, justement, ne leur verser que des pensions de misère
Tout cela est évident,,mais vous faites bien de le souligner et d’attirer l’attention de tous les indifférents éventuels surtout mal informés. Merci.
Il faut rien faire est ne pas modifier les retraites quand elle ne seront plus financés les Français s’en mordront les doigts .
Dans la phrase : « Et en fait de justice, les avantages des principaux régimes spéciaux, ceux de la fonction publique, sont maintenus pour éviter d’engager un conflit irrémédiable avec les syndicats, et continueront à grossir le déficit de l’État. »
ne confondez pas ! Les retraités (on dit « pensionnés ») de la fonction publique, n’ont pas d’ « avantages » :
– ils ont été alignés il y a longtemps (mêmes âges, mêmes durées de cotisations),
– le % ? Faux problème ! Lisez le dernier rapport de la DREES. Un salarié du privé a 66 % environ de tout son salaire (1 000 € x 0.66 = 660 €) ; un fonctionnaire a 75% de son traitement (brut) SANS les primes > 0.75 x (1000 – 200) = 0.75 x 800 = 600 ! Même si vs rajoutez 20e de RAFP (minuscule complémentaire) vs obtenez 620 € !
L’État ne paye pas de « cotisations patronales » en tant qu’employeur, donc il compense…Et en matière fiscale ou budgétaire, une large assiette est préférable à un haut taux (principe initial de la CSG)…!
En effet : 1 000 x 30% = 300 et 75% de 400 = 300 : c’est la même chose mais l’effet d’optique est différent…On confond TOUJOURS taux et valeur nominale.
Rendement fiscal : 2% de 1 000 000 = 20 000 et 10 % de 200 000 = 20 000 = 40 % de 50 000 > vu ? Grande assiette et petit taux ! C’est le principe de Bercy, normalement…Et là, c’est invisible…et insensible.
L’arbre cache tjs la forêt…!
Merci.
Souvent peu de diplômes, peu de culture, ni objectif ni conscience professionnels personnels autre que politiciens, sous l’emprise gauchiste voire pire, les représentants syndicaux de la fonction publique sont principalement des totalitaristes idéologues violents car sectaires et complètement déconnectés du sens et de l’intérêt sociétal global.
Le projet de retraite à points proposée par Macron lors de son premier mandat était autrement plus ambitieux, et il concernait le service public! Ce qui explique la férocité de la contestation à l’époque, et la capitulation en rase campagne du gouvernement. La réforme proposée aujourd’hui est anecdotique, elle ne justifie pas le moindre frisson.