Peut-être que quand nous lisons (et relisons, jamais trop souvent) 1984, de George Orwell, nous ne prêtons pas assez attention au télécran, cet outil multimédia (dirait-on aujourd’hui) qui diffuse la propagande de Big Brother mais qui, discrètement et sans jamais se lasser, espionne les dires, les faits et les gestes de chaque personne. Face à un écran, nous songeons plus à ce que nous pouvons recevoir de lui que ce que nous pouvons lui donner – ou ce qu’il peut nous prendre « à l’insu de notre plein gré ».

Bloomberg l’a annoncé : Facebook a écouté des conversations tenues sur Messenger, son outil de messagerie. Il a demandé à des sous-traitant, dont TaskUs, Inc., de retranscrire ces conversations. Certes, les protagonistes de ces conversations étaient des gens qui avaient autorisé Facebook à les retranscrire. Consciemment ? Qui lit toutes les conditions générales des services en ligne avant de les accepter ? Qui se pose toutes les bonnes questions face à chaque paramètre de son compte utilisateur ? L’objectif de ces retranscriptions était de contrôler a posteriori si l’intelligence artificielle de Facebook a bien interprété ces conversations « à la volée ». Ce qui laisse supposer qu’en plus de retranscrire ces conversations, Facebook cherchait (cherche encore ?) à les comprendre. La Commission irlandaise de protection des données, en charge, pour l’Union européenne, de Facebook, annonçait, mercredi 14 août, les interroger sur la conformité de cette pratique avec le régime européen de protection des données.

Amazon, Google et Apple, avec leurs assistants respectif Alexa, Alphabet et Siri, ont été pris, eux aussi, la main dans le sac de la retranscription, et les deux derniers ont annoncé cesser cette pratique. Facebook a annoncé leur avoir emboîté le pas de lui-même avant la révélation de Bloomberg.

Facebook vient de se voir imposer une transaction à cinq milliards de dollars pour violation de la vie privée. En avril 2018, son CEO Mark Zuckerberg répondait au sénateur Gary Peters, lors d’une audition : « Vous parlez de cette théorie du complot qui circule que nous écouterions ce qui passe dans votre microphone et que nous nous en servirions pour la publicité ? Nous ne faisons pas ça. »

Même si, peut-être et avec de très bons avocats bien retors et pugnaces, rien du point de vue légal ne pourrait être reproché ni à Facebook ni à son fondateur, le contexte de cette dernière révélation n’est pas vraiment favorable. Un masque qui n’était déjà pas bien opaque tombe un peu plus. L’action Facebook au NASDAQ recule.

Pour conclure, une petite piqûre de rappel : d’abord, sur Internet, si vous ne savez pas qui est le client, c’est que vous êtes le produit, et c’est vrai sur Facebook comme sur Boulevard Voltaire. Vous donnez plus de renseignements à travers vos écrans que vous n’imaginez en donner consciemment. Et, surtout, la récente non-affaire Woerth, remarquablement analysée par Olivia Dufour sur son blog laplumedaliocha devrait nous inciter à tous nous méfier de notre faible résistance au mimétisme et à l’emballement médiatique qui peut – n’en doutons pas – aller jusqu’à la manipulation.

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16 août 2019 à 21:09

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