Relocalisation et réduction des GES : décrypter le vrai du faux

Capture d’écran (2577)

« Vous voulez agir pour la planète. Vous avez une seule chose à faire : ramenez les industries et la production en France. Il y a très peu de pays au monde qui peuvent se permettre de dire ça. Nous avons le système de production le plus décarboné au monde », a récemment déclaré l’excellent Laurent Wauquiez en conclusion d’un séminaire organisé à Lyon par La Tribune. Il a ajouté : « À condition de ne pas faire n’importe quoi sur le nucléaire, de continuer à développer les énergies renouvelables et sans oublier l’hydraulique. De grâce, arrêtons de nous tirer des balles dans le pied. Le premier facteur d’émission de CO2, dans notre pays, ce sont les importations. » Si ce qu’affirme le président de la région Rhône-Alpes est globalement vrai, il faut toutefois se garder d’être trop catégorique, sous peine de tomber dans une facilité qui, sur certains points, peut s’avérer contre-productive.

« La France a le système de production le plus décarboné du monde » est totalement vrai. Les émissions territoriales (incluant l’agriculture) françaises ont atteint, en 2022, 408 tCO2, soit 6 tCO2/hab. Cela place l’Hexagone dans le Top 5 européen, mais surtout comme champion hors catégorie des grands de ce monde. Le mix énergétique primaire français est un des seuls à contenir moins de 50 % de fossiles, dont pratiquement plus de charbon, tandis que son mix électrique est décarboné à hauteur de 95 %. En comparaison, l’Allemand émet 9 tCO2 annuelles (soit 50 % de plus que le Français) tandis que son mix énergétique primaire contient toujours 76 % de combustibles fossiles. Pour les États-Unis, c’est 81 % de fossiles et pour la Chine 82 %, dont 55 % de charbon !

Une proposition incomplète

« Ne pas faire n’importe quoi sur le nucléaire, continuer à développer les énergies renouvelables sans oublier l’hydraulique. » Correcte, la proposition est toutefois incomplète. Bien que, contrairement à l’Allemagne et à la Belgique, la France n’ait jamais décidé d’abandonner le nucléaire, elle souffre effectivement d’avoir laissé « en jachère » une filière d’excellence pendant plus de vingt ans. Arrêt de Superphénix et d’ASTRID, démantèlement de Fessenheim sous la pression de l’idéologie verte : le nucléaire français a pris deux décennies de retard. Un retard qui se lit en filigrane des problèmes de l’EPR de Flamanville et dans le manque de ressources humaines requises pour effectuer le grand carénage des réacteurs existants.

Le virage à 180° du président de la République lors de son discours de Belfort est certes louable, mais arrive trop tard pour que le nouveau nucléaire (il ne sera disponible que dans la décennie 2040) puisse prendre le relais de l’ancien. Pour ce qui concerne le secteur renouvelable (éolien et solaire), il faut bien entendu continuer de le développer, mais le rythme imaginé par le Président est à notre avis beaucoup trop optimiste. Ainsi, atteindre 40 GW d’éolien en mer à l’horizon 2050 demanderait de mettre en œuvre 80 parcs équivalents à celui de Fécamp, soit… trois par an. Totalement irréaliste. Quant à l’hydraulique « sérieux » (grands barrages du type de celui de Serre-Ponçon), il n’y a guère de possibilités d’extension. Mais, surtout, Laurent Wauquiez omet un point capital : pour combler le retard du nucléaire et satisfaire l’accroissement de la demande électrique (elle devrait doubler, d’ici 2050), la France devra compter sur le gaz dont il faudra impérativement sécuriser l’approvisionnement avec nos partenaires européens.

Les importations, premier facteur d'émission de gaz à effet de serre

Le premier facteur d’émission de CO2 dans notre pays, ce sont les importations. En incluant les importations, l’empreinte carbone du Français atteint 9 tonnes de CO2/hab. Les émissions d’importation représentent donc bien le premier facteur d’émission (200 MtCO2), largement devant les transports (120 MtCO2), l’industrie (76 MtCO2), l’agriculture (76 MtCO2) et l’habitat (73 MtCO2). Toutefois, comme nous l’avons montré récemment dans un article intitulé « Comptabilisation des émissions de CO2 : une question de responsabilité partagée », on ne peut mettre sur un pied d’égalité les émissions territoriales et les émissions d’importation, et ce, pour plusieurs raisons.

En assimilant émissions d’importation et émissions territoriales, on déresponsabilise implicitement le producteur. Ainsi, les fortes émissions liées à l’importation d’un tee-shirt chinois sont principalement dues au mix énergétique fortement carboné de l’empire du Milieu. N’est-il pas injuste de les affecter au seul budget carbone du consommateur européen, même si ce dernier devrait faire preuve de davantage de discernement dans ses achats ?

Par ailleurs, en raisonnant de la sorte, on comptabilise souvent plusieurs fois les émissions. La règle en vigueur reposant sur les émissions territoriales, le tee-shirt chinois est comptabilisé de facto en Chine. Comptabiliser les émissions d’importation au consommateur européen et non au producteur chinois reviendrait à artificiellement décarboner le mix énergétique du producteur et, donc, l’encourager à ne pas faire évoluer son mix. Enfin, les émissions d’importation sont souvent utilisées par l’extrême gauche à des fins idéologique avec des règles à géométrie variable dont le principal dessein est de justifier la peau de la société de croissance et de son démon capitaliste.

Retrouver notre souveraineté industrielle

« Vous voulez agir pour la planète. Vous avez une seule chose à faire : ramenez les industries et la production en France. » Sur le plan global, Laurent Wauquiez a raison. Tout bien non importé et produit en France avec un mix fortement décarboné réduira les émissions mondiales. Mais, aussi vertueuse qu’elle soit, cette réduction sous-entend de nombreux effets pervers dont la France pourrait faire les frais. Comme précisé dans le paragraphe précédent, la comptabilisation officielle des émissions est territoriale. Pour que la relocalisation pèse positivement sur les émissions, il faudrait donc changer le mode comptabilisation. Sans ce changement, la réindustrialisation augmentera les émissions françaises tandis que celles des pays émergents baisseront mécaniquement. Une occasion inespérée pour le clan d’extrême gauche de tirer à boulets rouges sur la société de croissance au mépris de la souveraineté nationale et des emplois créés.

Comme nous le précisions récemment dans ces colonnes à propos du « Projet pour l’industrie verte », amalgamer réindustrialisation et décarbonation est un sport à haut risque. Le surcroît de normes qui en découlera risque de dégrader un peu plus la rentabilité d’entreprises déjà plombées par un excès de charges. Sans oublier que l’industrie lourde reste un secteur où la présence des énergies fossiles reste élevée. La France est-elle prête à relocaliser la verrerie, la sidérurgie ou la cimenterie, ou encore rouvrir des mines pour extraire ces métaux rares dont se nourriront goulûment les batteries, éoliennes ou panneaux solaires du futur ?

« De grâce, arrêtons de nous tirer des balles dans le pied. » Un point supplémentaire où Laurent Wauquiez a totalement raison. Dans le rapport très contesté de France Stratégie publié fin mai, Jean Pisani-Ferry reconnaît explicitement l’inutilité climatique, pour la France, de se conformer au Green Deal européen. Les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique étant des phénomènes globaux totalement indépendants du lieu d’émission, des approches nationales voire régionales resteront peu efficaces si elles ne s’intègrent pas dans une politique mondiale de décarbonation. La principale motivation du Green Deal n’est donc pas climatique mais morale et se justifie, selon France Stratégie, par « l’aspiration d’un nombre croissant de citoyens à ce que leur pays agisse en conformité avec la morale kantienne ». Restons donc pragmatiques et ne tombons pas dans le piège des grands moralistes de gauche. Découplons sans complexe réindustrialisation et décarbonation.

Philippe Charlez
Philippe Charlez
Ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, membre du bureau politique de Identité-Libertés.

Vos commentaires

27 commentaires

  1. « Bien que, contrairement à l’Allemagne et à la Belgique, la France n’ait jamais décidé d’abandonner le nucléaire, elle souffre effectivement d’avoir laissé « en jachère » une filière d’excellence » Soyons beaucoup plus clairs, la « jachère  » en question a été décidée par quelques personnes dont les noms sont connus et pour de minables petits arrangements électoraux entre PS et Verts. L’élection de Hollande valait-elle le sabotage de l’outil de production de notre électricité ?

  2. La carte du GIEC sur le cycle du carbone (chapitre 5 du dernier rapport: Physique du Climat) donne les quantités suivantes : 591 billions de tonnes de CO2 par an émis par la NATURE juste avant la révolution industrielle, puis 279 émis par les activités humaines + la Nature depuis cette époque. Autant dire clairement que les Humains ne peuvent pas être les SEULS responsables de l’effet de serre (d’autant que le principal GES, largement majoritaire, est la Vapeur d’Eau)… !
    Les Humains sont d’autant moins les SEULS responsables du réchauffement climatique que ce dernier ne dépend pas que que du SEUL effet de serre: la chaleur dégagée par la tectonique des plaques est considérable (nous avons au moins 5000°C sous les pieds), et que les échanges thermiques avec notre univers sont importants et inconstants. Notre époque est sous emprise d’une véritable illumination religieuse provoquée par une réalité dangereuse (certes) qui la pousse à chercher un Dieu (Thermostat) au lieu de chercher des solutions d’adaptation à ce réchauffement. Il faut aussi rappeler que la terre est, géologiquement parlant, dans une phase (longue) de glaciation. Et il faut signaler aussi que les couches hautes de l’atmosphère terrestre sont en train de se refroidir considérablement: elles vont forcément tomber à un moment (l’air froid est lourd) et se mélanger aux couches basses.

  3. Il faut comptabiliser à l’ évidence pour chaque pays à la fois les émissions de sa production locale et de sa consommation de produits fabriqués ailleurs ( et donc à défaut de production locale, privilégier les importations de pays où les industries sont moins  » polluantes »)
    Ne pas avoir de « complexe » de consommer des produits dégradants l’état de la planète sous prétexte que ce n’est pas nous qui les avons fabriqués est un aveuglement coupable.

    La dernière phrase semble signifier, « n ‘ayons pas de complexes, redeveloppons notre industrie sans préoccupation climatique « . Elle résume bien cet article qui ne supporte aucune critique à la société capitaliste et la croissance.
    La conclusion est ainsi  » polluons en France comme dans les autres pays » , alors qu’on pourrait préférer qu’elle soit « arrêtons d’importer des produits dont les normes de production ne sont pas les nôtres ». Mais ça c’est pas bon pour la croissance, le capitalisme et le pouvoir d achat vénérés.

  4. Il faut comptabilisé à l’ évidence pour chaque pays à la fois les émissions de sa production locale et de sa consommation de produits fabriqués ailleurs ( et donc a défaut de production locale, privilégier les importations de pays où les industries sont moins  » polluantes »)
    Ne pas avoir de « complexe » de consommer des produits dégradants l’état de la planète sous prétexte que ce n’est pas nous qui les avons fabriqué est un aveuglement coupable.

  5. Après avoir fermé les yeux pour se remplir la bourse, ces has been découvrent le fil à couper le beurre.
    Out, il faut les mettre Out , nous voulons du sang neuf.

  6. Le projet ASTRID était plein de promesses. Peut-être le plus grand de tous ces scandales, pourtant ignoré du grand public.

  7. Je suis d’accord avec ce que dit Laurent Wauquiez, sauf sur l’éolien. L’éolien sur terre ou en mer est un énorme fauteur de troubles, donc à bannir. Quant au photovoltaïque, je suis contre son implantation sur les terres agricoles. La couverture de parkings peut être une bonne solution. L’autre « détail » important, c’est que ces deux énergies dites renouvelables exigent l’extraction de métaux rares, et que leur recyclage en fin de vie va également générer une importante pollution. Que n’a-t-on entretenu, modernisé et agrandi notre parc nucléaire ?

  8. Je pense que c’est une ERREUR de discuter co2
    Il ne faut pas discuter avec la religion « écolo-nihiliste » , et il ne faut pas penser qu’on discutera sacralité (= Co2) de manière objective.
    Par ESSENCE , la religion E-n recherche la ruine , en discutant co2, vous acceptez de lui donner raison,
    et de rentrer dans ces critères

    il faut contester frontalement le co2 et contester cette bénédiction de la ruine

  9. On est d’accord, Montebourg dit la même chose, Zemmour dit la même chose, les gens honnêtes et sérieux disent la même chose : il faut réindustrialiser la France. Restaurer le leadership nucléaire. Une chose n’est pas dite dans cet article. L’impact de la forêt sur la décarbonation. Stopper la déforestation et planter des millions d’arbres sur la planète permettrait de résoudre une bonne partie du problème. La France, sur ce domaine de la forêt, est une championne et pourrait faire encore mieux. Un autre point sur le quel il faudrait également appuyer : l’aménagement des cours d’eau et l’exploitation du potentiel hydro-électrique (bien mieux que les éoliennes !) Et ça produit H24 7/7.

  10. Les forages glacières de Vostok nous enseignent que dans le passé, tous les 100.000 ans, il y a eu des périodes de fortes chaleurs alternées avec des glaciations. Nous somme actuellement dans un de ces cycles tout à fait normaux d’élévation des températures, et nous sommes d’ailleurs encore 3° en dessous du dernier pic d’il y a 100.000 ans. Il est donc tout à fait normal que notre température continue à s’élever encore un peu. Il n’y a aucun dérèglement climatique là-dedans. C’est bien au contraire l’ordre normal des choses. Et ce pauvre CO² que les obsédés mettent à toutes les sauces, n’a rien à voir là-dedans. N’en déplaise au GIEC. Donc en effet arrêtons de nous tirer des balles dans le pied aussi inutiles que stupides.
    Au lieu de dépenser une énergie absurde et vaine à déblatérer à longueur de journées sur le CO², dépensons donc notre énergie à désaliniser l’eau de mer, ce sera enfin une chose utile.

    • C’est ce que j’explique dans des pétitions concernant le « dérèglement » climatique. Ce n’est pas un dérèglement, de tous temps il y a eu des réchauffements (la fonte des glaces et la dérive des continents) et peut-être — je dis bien peut-être — que l’activité humaine accélère le réchauffement actuel. On pourra faire tout et n’importe quoi, on n’y changera rien.

  11. Si la motivation du Green Deal est morale, plus aucun débat n’est autorisé.
    Nous nous sabordons collectivement pour gagner le paradis vert. C’est le prix à payer que nos dirigeants ont fixé pour nous.
    Si on veut s’assurer de « l’aspiration d’un nombre croissant de citoyens », il faudrait peut-être leur poser la question.
    Rappelons tout de même que l’augmentation de la température terrestre depuis 1850 est de 1.1 °C.
    Je suis sans doute complètement inconscient, car ça n’entame pas ma sérénité.
    Ce qui m’inquiète bien davantage, c’est l’ignorance technique et scientifique de nos dirigeants. Même Marine Le Pen croit à la filière hydrogène !

  12. Un grand merci à M. Charlez pour avoir dénoncé l’hypocrisie des modes de calcul des émissions de CO2 utilisés par la gauche.
    En effet, soit on impute à un pays ses émissions de production, soit celles de consommation, mais pas les deux ou aucune en fonction des pays suivant ce qui intéresse EELV.
    Maintenant, si le pragmatisme se heurte aux conventions et aux modes de calcul, c’est donc qu’il faut changer ces derniers.
    Que l’on croit au péril climatique d’origine humaine ou pas, si une relocalisation permet une diminution globale des émissions de CO2, alors le score individuel de la France ne doit pas être impacté.

  13. Il est possible de résumer de façon très simple en deux ou trois points : arrêtons d’écouter les gauchistes et de trembler devant leurs anathèmes, débarrassons-nous des responsables de la situation plutôt que de les laisser faire semblant de réparer ce qu’ils ont eux-mêmes créé, rétablissons une véritable souveraineté vis-à-vis de l’Europe et du magister allemand plutôt que de constamment nous applatir devant.

    • Je n’aurais pas dit mieux. Le problème est que les français sont tellement formatés à la bienpensance et au gauchisme que je ne les vois pas se « retourner ». Sans dire que les oligarques occidentaux qui détiennent tous les pouvoirs (presse notamment) ne vont pas cesser d’agir pour nous asservir (pass santé, pass carbone, repentance, crédit social, tyrannie lbgtiste..). Ce sera très dur de résister à tout ça surtout si nous sommes une minorité. Notre seul espoir est la victoire des russes en Ukraine sinon, nous seront les esclaves des USA pour des décennies…Jusqu’à la fin de nos vies.

    • « ce qu’ils ont eux-mêmes créé » !!! ce qu’il ont détruit ! ce qu’ils ont gaspillé ! ce qu’ils ont vendu à l’étranger ! Ils ont trahi la France. Ségolène Royal, Hollande, Duflot, Aubry, Macron et Borne méritent d’être cloués au pilori des traîtres (et des idiots de l’idéologie) .
      Ségolène Royal ! L’écotaxe, les portiques qui rouillent sur les routes qu’on a du indemniser pour 800 millions d’euros, et dont les recettes attendues ont due être remplacées par la hausse de la fiscalité du gazole.
      Aubry son accord « électoraliste » avec Duflot qui a tué le nucléaire français.
      Hollande, Macron et Borne qui ont tout avalé, tout aggravé et vendu nos fleurons industriels à l’étranger.
      La Honte soit sur eux.

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