Quoi de plus fragile qu’une réputation ? Ue e-réputation !
« Il faut vingt ans pour bâtir une réputation et cinq minutes pour l’anéantir. Si vous y pensez, vous agirez différemment » : cette phrase de Warren Buffett, « l'homme le plus riche du monde », est plus que jamais d'actualité. La réputation, bonne ou mauvaise, celle qui se fait et se défait, est un bien précieux. Mais fragile. Surtout depuis qu'Internet, ce merveilleux espace de liberté qu'on croyait illimité, nous a contraints à bâtir et sauvegarder un autre moi : la « e-réputation », celle qu'on se construit via les réseaux sociaux et les moteurs de recherche.
À moins de vivre au fond d'une grotte, l'e-réputation est devenue un paramètre essentiel de notre vie. Des cabinets spécialisés proposent leurs services car « pour gérer sa e-réputation, il est conseillé de se focaliser sur les résultats de Google. Plus de 91 % des Français utilisent ce moteur de recherche et 3,3 milliards de requêtes Google sont effectuées chaque jour dans le monde ». Internautes, sachez-le, votre e-réputation se forge dans les cinq premiers clics de recherche à votre nom !
Pour le meilleur et pour le pire... Autrefois, le condamné, le honni, l'homme de mauvaise réputation avait une seconde chance. En quittant son village, son bourg, le pays qui l’avait vu naître, il pouvait envisager de refaire sa vie. La rédemption était possible puisque la mémoire des hommes s’arrêtait aux limites géographiques.
Avec Internet, la donne a changé. La fantastique mémoire du Web garde trace de tout ce qu'on lui fait ingurgiter : le tweet parti trop vite, la photo légère postée sur Facebook « juste pour rigoler » ou « juste pour se venger », la diffamation, la poursuite judiciaire, le soupçon, la mise en examen, la condamnation. Même la Justice prévoit l'effacement du casier judiciaire. Internet, lui, garde tout en réserve. Et les médias jouent la caisse de résonance, à bon ou mauvais escient. Julie Graziani et Emmanuelle Gave en ont fait l'amère expérience.
Sans avocat pour se défendre, sans confessionnal pour se laver de sa faute, l'individu est bien seul face à la mémoire du numérique. Même si des règles existent car l'individu peut, a priori, « exiger la rectification, la mise à jour, le verrouillage ou l’effacement de données personnelles si elles sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées ». Loi française Informatique et Liberté, règlements européens sur la protection des données... les textes sont là mais la Justice, qui peine à peser entre droit à l'information du public et protection de la vie privée, a peu de poids pour faire appliquer ses décisions par les géants du Web.
Le droit à l'oubli numérique est en construction. Google prévoit la réclamation au déréférencement pour les individus. Moins de 50 % des demandes aboutissent. En cas de refus, la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) peut être saisie mais le résultat est loin d'être garanti. En dernier recours, le Conseil d'État. Cette juridiction vient, pour la première fois, de se prononcer en tentant d'élaborer des règles.
Il opère la distinction entre le type d'informations (sensibles ou non, selon qu'il s'agit d'ingérences dans la vie privée ou non) et le rôle social du demandeur (une actrice « en vue » qui étale sa vie privée dans les journaux aura peu de chances de voir aboutir sa demande de protection de sa vie affective). Lorsque l'individu souhaite effacer du Net des informations en lien avec une procédure pénale, c'est possible, mais pas dans tous les cas. Une condamnation pour apologie de crimes contre l'humanité ne disparaîtra jamais d'un moteur de recherche. Un prêtre condamné pour actes pédophiles a vu sa demande refusée par Google. Mais le Conseil d'État vient d'ordonner le déréférencement des informations concernant la condamnation d'un individu pour attouchements sexuels sur mineurs.
Quoi qu'il arrive, l'oubli numérique n'est jamais total : l'internaute repenti a beau clôturer son compte Facebook, ses destinataires conservent la mémoire de ses messages. Certains liens de recherche seront effacés mais pas l'information en elle-même, qui demeure accessible autrement, via d'autres mots clés, ad vitam aeternam. Un droit à l'oubli, certes, mais sans absolution complète.
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