Nous sirotons notre deuxième rosé à 12 euros le verre, à cette heure où la piscine du château est délaissée au profit du bar ; c’est alors que surgit des eaux celui qui faisait des longueurs dans la piscine depuis au moins une demi-heure. Il jette un regard circulaire sur les uns et les autres, s'arrête un instant sur nous qui avons en mains le dernier numéro de Valeurs actuelles puis rejoint le lobby et la suite junior où sa femme Mylène, rentrée un peu plus tôt du spa, l'attend pour aller dîner. Les enfants ne les accompagnent plus pour les vacances. Ils leur manquent, mais cela leur procure une tranquillité d’esprit qu’ils n’osent s’avouer. D’un château l’autre, l’an prochain, ils seraient peut-être à Brégançon.

Nous le suivons du coin de l'œil. Oui, c'est lui. D'ailleurs, les têtes des clients du bar de l'hôtel installés comme nous dans le jardin le suivent aussi ou se tournent pour ceux qui sont de dos. On les entend chuchoter le nom de celui qui est en couverture du magazine.

Depuis La Madrague, Brigitte Bardot a affirmé que l’éditorialiste star de CNews serait un bon candidat pour l’élection présidentielle de 2022. « Je suis très au courant de tout ce qu’il dit, j’ai lu ses livres et je pense qu’il a parfaitement raison », poursuit l’actrice française. S’il se présente, « ce serait une très belle chose pour la France ».

- C’est un de nos grands intellectuels, dis-je.

- Tu vois Sartre ou Aron, à l’Élysée ? Un intellectuel et un politique, c’est différent ! L’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Gilbert avait de beaux restes de la fac de droit.

Quoi qu’il en soit, mes amis Gilbert et Sylvie sont très satisfaits du Président Macron et souhaitent ardemment sa réélection, ce sont des boomers restés d’autant mieux marqués à gauche qu’ils ont socialement réussi.

Personnellement, je suis plus que réservé. Néanmoins, un conservateur a besoin d’une dimension libérale sur le plan économique. Non pas pour gagner l’élection - le libéralisme a très mauvaise presse, en France - mais une fois au pouvoir, il faudra bien laisser la France prospérer. C’est-à-dire rompre avec toutes les formes de constructivismes - ordo-libérales, keynésiennes ou socialistes. Le vrai libéralisme, celui de l’école autrichienne, serait une bonne chose pour la France. Les gilets jaunes du début qui prônaient le moins de taxes, moins de normes et réglementations étaient instinctivement des messieurs Jourdain du libéralisme.

L’homme réputé partir en vacances avec une pile de livres plus épaisse que sa pile de vêtements - Sylvie raconte qu’un jour, sa femme était passée au village acheter un short parce que quelqu’un avait remarqué qu’il avait toujours le même depuis des années - devrait relire les 960 pages de Droit, législation et liberté de Friedrich Hayek.

Il jette sa serviette de bain bleue sur ses épaules comme une cape militaire et nous offre son profil d'aigle. Ce serait bien lui, le sauveur de la France, dit la clameur. C’est en lisant un livre sur Bainville qu’il a découvert que le journaliste, historien et membre de l’Académie avait eu des regrets, à la fin de sa vie, de ne pas avoir franchi le Rubicon.

- Pas très grand, regarde-le toiser les gens à travers la clôture. Les arguments de Gilbert s’appauvrissent. Je lui rétorque que lorsqu'il sert de toute la hauteur de son bras tendu, il peut d’un smash faire un ace qui ne laisse aucune chance à son adversaire.

Il prend toujours ses quartiers d'été sur la presqu’île de Saint-Tropez, non loin du fort de Brégançon. Il se prépare. Mens sana in corpore sano.

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22 août 2021 à 21:30

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