Quand Benjamin Griveaux parle « exemplarité » sur fond d’affaire Benalla

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Rien n'est plus difficile que d'être le porte-parole d'un gouvernement qui ne brille pas par la cohérence et l'efficacité, à quelques exceptions près que je ne veux plus citer parce que trop d'encens pourrait leur nuire.

J'écris ce billet durant la seconde audition d'Alexandre Benalla - il élude beaucoup mais dément l'Élysée sur un point essentiel : une date de restitution - devant la commission sénatoriale parce que je tiens à ne pas laisser parasiter mon post prochain par une périphérie digne d'intérêt mais sans lien avec son objet principal.

Benjamin Griveaux a déclaré : "On ne peut pas demander aux manifestants d'être exemplaires si on ne l'est pas soi-même" (Le Figaro). Cette phrase qui vise la police est extrêmement maladroite parce qu'elle relève de ces affirmations à tiroirs qui naturellement dépassent leur champ initial.

Comment Benjamin Griveaux a-t-il pu ignorer que cette exigence d'exemplarité formulée sur un ton condescendant à l'égard de la police subissant, sur le terrain, le pire à cause de la crise interminable des gilets jaunes et donc du pouvoir longtemps impuissant va être retournée de plein fouet vers le Président, le Premier ministre, le gouvernement et lui-même ?

Cette personnalité, beaucoup portraiturée - mi-figue mi-raisin - durant la semaine écoulée, est trop intelligente pour ne pas admettre que certains de ses propos ont été désastreux et donc contradictoires avec l'exemplarité souhaitée.

Et il sait aussi que le Premier ministre, ses collègues ministres et l'Élysée - il a eu le courage de dénoncer les dysfonctionnements que cette maison à l'évidence "mal tenue" a connus - n'ont pas été, les uns et les autres, aussi remarquables que la valeur d'exemplarité aurait dû le prescrire.

Je veux bien que Benjamin Griveaux donne une leçon de morale à la police, mais sa morale a une leçon : qui peut se prétendre exemplaire ? Et quand on ne l'est pas à coup sûr, quelle crédibilité ont les semonces même les plus pertinentes sur le fond ?

Cette exemplarité si largement battue en brèche a trouvé, malheureusement, son pic à l'Élysée, où le feuilleton Benalla et ses développements lassants et surprenants à la fois, avec, notamment, l'arme, les passeports diplomatiques et de service et le téléphone crypté Teorem, ont révélé une indéniable incurie au moins de la part du directeur de cabinet et, accessoirement, du chef de cabinet.

Cela n'a pas empêché le premier de se vanter, sur la question d'un sénateur, d'avoir dirigé une maison, selon lui, "bien tenue" et de se défausser sur les chefs de service. Il se contente de peu.

Si j'insiste sur ce haut lieu républicain, cela tient au fait que, dans sa gestion, on espérait l'excellence, la fiabilité et la rectitude, on était même persuadé que ces qualités y seraient respectées plus qu'ailleurs. Pourtant, ce qui se dégage de ces semaines et de ces épisodes à force ridicules est l'impression d'un déplorable amateurisme qui n'est rassurant que s'il nous permet de relativiser l'accusation renouvelée d'affaire d'État. Alors que, sans doute, il s'agit d'abord de professionnels qui n'ont pas été à la hauteur de leur poste prestigieux.

Plutôt, donc, le désordre et l'approximation que la rigueur. Est-ce consolant ?

Peut-être n'aurais-je pas dû être aussi surpris par ces maladresses et négligences puisqu'il suffit de considérer les grandes entreprises et les personnalités qui les dirigent, plus généralement les institutions et les services publics de notre pays, pour être au fait, malheureusement, d'un défaut d'exemplarité aussi bien dans le fond des actions que, le plus souvent, dans leur forme.

On aurait pu imaginer que l'Élysée échapperait à ces dérives trop régulières pour ne pas être consubstantielles à un monde pour lequel l'exemplarité est moins une aspiration, un désir qu'une indifférence. Il y aurait une hiérarchie des tâches entre les essentielles et les dérisoires alors qu'il n'y a pas de domaine réservé où l'exemplarité serait obligatoire et d'autres non. Elle doit être indivisible et ne se découpe pas selon le bon loisir.

Je ne voudrais pas qu'à force, alors qu'on annonce Benjamin Griveaux comme le rival probable d'Anne Hidalgo pour la mairie de Paris, il perde tout crédit pour cette lutte municipale à venir.

Il devrait parfois se taire.

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Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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