Après la chute de l’URSS, certains observateurs, dont l’essayiste néo-conservateur Francis Fukuyama, prophétisaient « la fin de l’Histoire », l’avènement d’une planète convertie à la démocratie libérale et réglée par le « doux commerce », sous protection bienveillante de l’hyperpuissance américaine. Le communisme était une utopie, la « bonne gouvernance » mondiale en est une autre.

Car cette parenthèse est en train de se refermer et les antagonismes entre nations séculaires n’ont jamais été autant d’actualité, tel qu’en témoigne le conflit du Haut-Karabakh, enclave arménienne au cœur de l’Azerbaïdjan.

Il faut déjà savoir que ce territoire, grand comme un département français, est cédé en 1921 à l’Azerbaïdjan par Joseph Staline, qui divise pour mieux régner tout en gagnant la reconnaissance de Bakou, capitale d’une terre gorgée de pétrole. Soixante-dix ans plus tard, les chrétiens arméniens du Haut-Karabakh déclarent leur indépendance ; ce que l’Azerbaïdjan, république laïque, mais majoritairement peuplée de musulmans chiites, ne peut accepter. S’ensuit une guerre et, en 1994, un fragile cessez-le-feu.

C’est ce conflit, larvé depuis plus de vingt ans, qui vient de se raviver, alors que la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdoğan retrouvent leur lustre d’antan ; l’un se voyant tsar et l’autre sultan. Moscou est un soutien traditionnel des Arméniens, tandis qu’Ankara considère que les Azéris turcophones participent de sa zone d’influence.

L’Iran, l’autre puissance à peser dans la région, entretient de longue date des rapports économiques et diplomatiques très serrés avec Erevan, ne serait-ce qu’en raison de sa forte minorité chrétienne d’origine arménienne, réfugiée dans l’ancienne Perse pour fuir les massacres ottomans. Seulement voilà, il existe aussi une forte minorité azérie en Iran, ce qui l’oblige à une relative neutralité. Bref, ces trois capitales tentent de jouer aux juges de paix entre les deux protagonistes, tout en les armant de manière plus ou moins ouverte.

Pour tout arranger, Israël se mêle aussi de la partie en armant l’Azerbaïdjan, ce, à la grande fureur de Moscou. Pourquoi ce jeu trouble, sachant que si les pays arabes se rangent peu à peu et les uns après les autres derrière Tel Aviv, la Turquie continue de soutenir la cause palestinienne ? À cela, deux raisons.

La première est que Bakou fournit beaucoup de pétrole à Israël, lequel est acheminé par un oléoduc passant par la Turquie, générant au passage une véritable manne en taxes diverses. La seconde, c’est que l’Azerbaïdjan possède une très longue frontière avec l’Iran, permettant ainsi aux services secrets israéliens de collecter de précieux renseignements et d’infiltrer des agents pour ces opérations clandestines ayant fait leur renommée. Tel Aviv n’a donc rien à refuser à Bakou.

S’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un conflit religieux opposant chrétiens et musulmans, une autre opposition demeure entre deux conceptions des frontières. Selon celle d’Erevan et de Stepanakert (la capitale du Haut-Karabakh), cette terre est arménienne parce que peuplée d’Arméniens : c’est la jurisprudence du Kosovo, pays qui, immigration massive oblige, est devenu plus albanais que serbe. Celle de Bakou repose sur l’intangibilité des frontières, ce qui la pousse à affirmer que le Haut-Karabakh leur appartient parce qu’il était autrefois leur. Un peu comme la Crimée, autre territoire jadis offert à l’Ukraine par Nikita Khrouchtchev, successeur de Staline, avec la Russie.

Pour le moment, ces puissances s’abstiennent de franchir les lignes rouges. Moscou ne tient pas à aller directement sur le terrain, même si un accord d’assistance militaire existe avec l’Arménie. Mais Ankara ne souhaite pas non plus s’impliquer trop fortement, sachant qu’un conflit ouvert ne profiterait à personne, et surtout pas à une Turquie déjà présente en Libye, Syrie et aux frontières de la Grèce pour les raisons pétrolières qu’on sait.

Bref, cette Histoire que l’on donnait pour obsolète n’en finit plus de reprendre ses droits.

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20 octobre 2020 à 20:54

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