[Point de vue] Allons-nous euthanasier l’Espérance ?

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Consternée, oui, je suis consternée par les résultats de la Convention citoyenne sur la fin de vie organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) à la demande du gouvernement.

Le choix de cet organisme ne pouvait conduire qu’à cette prise de position. En effet, les dirigeants n’ont jamais caché leur appétence pour l’euthanasie et le suicide assisté. Voilà quelques années, c’était déjà ce qu’ils avaient préconisé. Un certain nombre de ministres, hommes et femmes politiques, philosophes, journalistes se sont déclarés favorables à l’euthanasie, quitte à ringardiser les autres voix ; l’un des philosophes justifiant sa position par la ciguë de Socrate. J’ignore si ceux qui préconisent l’acte suprême se sont mis à la place de la personne à qui ils vont déléguer l’intervention ? Quel parent pourra sans broncher demander l’euthanasie de son enfant ?

On s’assoit sur notre devise nationale. Au nom de la liberté, on fait l’impasse sur l’égalité et on passe par pertes et profits la fraternité.

Ce n’est pas parce que l’on change les mots, que l’on utilise des éléments de langage, fussent-ils concoctés par un académicien, que l’on change la nature de la chose : on tue sciemment quelqu’un, même si les jours ou les heures de cette personne sont comptés. On vient de vivre une période difficile avec le Covid, tout le monde a déploré la manière dont, parfois, des mourants ou les familles ont été traités.

On voudrait prendre exemple sur les quelques pays qui exercent l’aide active à mourir. La Belgique, où l’on dit que l’on contrôle et où on ne contrôle rien du tout. Tous les jours, la presse relate des cas douloureux d’euthanasie, comme cette jeune femme rescapée des attentats ou cette autre qui a été violée et toute sorte de mal-vivre et, encore, cette prisonnière, condamnée et euthanasiée le jour anniversaire du meurtre de ses cinq enfants.

Dans ce même pays, la commission de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie au cours de l’année 2021 rapporte que le nombre officiellement déclaré atteint un nouveau record, soit 2.699 personnes euthanasiées légalement - un chiffre jamais atteint.

Que dire du Canada, dont les statistiques officielles recensaient 2.838 euthanasies en 2017. Ce chiffre passe à 7.383 en 2020, soit une augmentation de 36 % par an. Le rapport, publié en en octobre 2020 par le Directeur parlementaire du budget, estime que l’accès à l’aide médicale à mourir au Canada devrait provoquer environ 1.200 décès supplémentaires et 149 millions de dollars de frais de santé en moins.

En France, on nous dit que cela concernera très peu de personnes. On reste perplexe quand la principale association qui se bat depuis des décennies pour acquérir ce droit déclarait, devant la mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 : « …les demandes d’euthanasie ne peuvent être exceptionnelles ou marginales. Il suffit de se référer aux chiffres des pays où elle existe en Belgique. En 2007, les euthanasies représentaient 0,5 % des décès, soit 495 cas, et 2 % aux Pays-Bas, c’est-à-dire 2.120 cas. Mutatis mutandis, de 2.500 à 10.000 personnes par an seraient concernées en France. Dans les pays où elle a été légalisée, l’euthanasie n’est pas marginale » (Assemblée nationale, rapport d’information n° 1287, tome 2).

J’ai été moi-même auditionnée par cette commission. Que dire des effets collatéraux sur les plus faibles, les vulnérables, les délaissés, se sentant une charge pour l’entourage, pour la société ? Quel peut être le sentiment des personnes maltraitées tel que rapporté par les études sur certains EHPAD. La France ne sera pas différente des autres pays, une fois « l’obstacle » dépassé, il n’y aura de cesse d’aller plus loin.

Oui, il y a des situations pénibles. Voilà une dizaine d’années, on justifiait les demandes par la douleur physique ; on en parle moins, les progrès dans ce domaine ayant été fulgurants. On insiste maintenant sur la douleur psychique, le mal-être, tout ce qui, en grande partie, pourrait se résorber par un sursaut de fraternité, d’amour dans les familles et dans notre société.

Sans doute cette consultation mettra en avant le bienfait des soins palliatifs. Ceux-ci ont eux aussi beaucoup évolué, de plus en plus de maisons spécialisées se sont construites avec des soignants et des visiteurs formés. Mais elle devra aussi faire ressortir le manque criant de moyens ; à l’heure actuelle, 25 à 30 départements seraient dépourvus de structures dédiées.

Qu’est-ce qui justifie ma prise de position ? Ma vie, tout simplement. À vingt-neuf ans, j’ai fait un AVC foudroyant. Dans quelques jours, il y aura trente-neuf ans, deux mois de coma, trente et un mois d’hôpital, et pourtant, je suis toujours dépendante, incapable d’accomplir un geste de la vie ordinaire, m’exprimant avec difficulté, et cependant, pour moi, la vie est belle, je suis mère et grand-mère comblée. Ma vie sociale est bien remplie, l’aide de mon entourage me permet de participer. J’ai fait des voyages à travers le monde et j’espère que ce n’est pas fini. « L’espérance, cette petite fille de rien du tout… » écrivait Charles Péguy. Allons-nous euthanasier l’Espérance ?

Maryannick Pavageau
Maryannick Pavageau
Personne handicapée, officier de la Légion d'honneur pour ses engagements en faveur de la vie

Vos commentaires

19 commentaires

  1. Admirable témoignage. Il est évident que si le processus que Macron va évidemment lancer pour se refaire une santé aura les mêmes conséquences chez nous que celles qui s’observent en Belgique, aux Pays Bas ou au Canada. Mais c’est le « progrès » ! L’Occident, d’une manière générale, en fait chaque jour un peu plus pour s’autodétruire. Mais que pouvons nous faire pour remonter ce courant ?

  2. Merci Madame pour ce magnifique témoignage.
    Curieusement, ceux qui mettent en avant le droit à l’avortement et au suicide assisté sont farouchement opposés à la peine de mort qui, elle, serait exceptionnelle mais qui permettrait de réévaluer la hiérarchie des condamnations…

  3. Très beau texte. Une personne qui veut se suicider est aidée, prise en charge par la médecine. Un assassin qui tue quelqu’un est condamné. L’euthanasie c’est dépénaliser le meurtre sous prétexte de bons sentiments. Ouvrez les yeux.

  4. Merci pour votre témoignage qui rejoint mes expériences de professionnelle en Soins Palliatifs.
    Lorsque les gens sont aimés, quel que soit leur état physique, et lorsque la douleur physique est bien prise en charge (oui, il y a eu des progrès dans ce domaine , absolument fulgurants), ils sont heureux de vivre.
    C’est pourquoi j’ai fait mes directives anticipées devant Notaire (c’est considéré comme un testament et donc toujours d’actualité, sauf si la personne veut en changer certains termes), en précisant bien que si ma personne de confiance a des soupçons sur la raison de mon décès, elle doit faire faire une autopsie et une enquête et porter plainte pour meurtre contre l’institution, et/ou les médecins , et/ou le personnel soignant s’étant occupés de moi .

  5. Dans la logique totalitaire du capitalisme ou du matérialisme, tout ce qui coûte à l’économie doit être éliminé. L’exécution des aliénés et des malades (et surtout de ceux qui pensent mal) est donc une simple question de bon sens et le moyen de résoudre le problème des retraites. Il est logique de prôner l’euthanasie active remboursée par la sécurité sociale (et même obligatoire). C’était la logique imparable de la « solution finale » des médecins d’Auschwitz et tout l’intérêt des « médicaments » létaux utilisés pendant la pandémie. L’expérimentation est faite, beaucoup veulent passer à la pratique, qui n’a jamais vraiment cessé. Avec l’IVG, on a expédié 12 millions d’enfants à naître. Vraiment la société idéale, pourquoi ne pas continuer ?
    Ayant assisté des centaines de mourants en 20 ans, au sein d’une aumônerie Catholique, je m’inscris en faux contre cette civilisation de mort que l’on cherche à accréditer et cet anti-humanisme. C’est l’honneur de la société humaine de prendre soin de ses personnes âgées et de ses malades. Il est vrai que l’honneur (il y a la Légion pour celà), est une valeur bien oubliée.

  6. Merci madame.
    Lorsqu’on se sent aimé encore utile et qu’on a la foi…on soulève des montagnes, on se bat on gagne.
    La vie est un miracle qui se mérite et qu’on paie plus ou moins cher . Le pire n’est pas la souffrance physique c’est la souffrance morale et chacun d’entre nous a un seuil au delà duquel c’est insupportable.
    On ne doit aider à mourir que dns les cas extrêmes lors qu’il n’y a plus d’espérance . …saurons nous être Dieu ?

  7. L’euthanasie peut parfaitement se défendre, en fait elle peut être une forme facilitée de suicide. Le problème est ailleurs. Dans notre belle société décadente elle suivra l’exemple de l’avortement, qui n’a plus rien à voir avec l’esprit de la loi Veil. Si l’euthanasie devient légale, elle deviendra forcément un moyen commode de se débarrasser des individus gênants, pour les familles comme pour les institutions. Aujourd’hui l’avortement n’est-il pas légal jusqu’à… la veille de l’accouchement !

    • « L’euthanasie peut parfaitement se défendre, en fait elle peut être une forme facilitée de suicide. »
      Autant j’admets le suicide (encore que je pense que dans un cas de maladie, c’est la faute du manque d’amour si le malade en vient à cela), mais ce qui me gêne sont les termes  » forme facilitée de suicide », qui implique l’obligation pour le personnel soignant d’aller à l’encontre de sa morale et de son métier qui est : « primum non nocere » et soigner et non pas tuer. (oui, la bande de pourris qui nous gouverne envisage de nous supprimer notre droit à « la clause de conscience » à ce sujet.

  8. Non à l’euthanasie et ses dérives assurées ..que chacun décide de son sort ,,sinon genocide .horrible

  9. Merci et bravo pour ce très bel article .Je suis complètement en phase avec vous .

  10. « …la vie est un bien perdu quand, on a pas vécu comme on aurait voulu » pour autant, a-t-on le droit d’en décider d’y mettre fin pour soi ou pour autrui. Evidemment non. La vie est un bien unique et non renouvelable jusqu’à preuve du contraire mais, surtout une chance de l’améliorer à chaque instant et d’espérer la voir plus belle encore par tous ses petits moments de plaisirs intrinsèques auxquels elle nous réserve et surprend encore après des années d’existence. Pour ceux-là, je souhaite vivre encore et encore même avec les tourments et les incertitudes quotidiennes. La vie c’est cela et il faut toute une vie pour le comprendre.

  11. Merci pour votre témoignage. Les commissions citoyennes n’ont pour but que d’approuver des décisions déjà prises en donnant l’illusion aux naïfs que le pouvoir macronien tient compte de l’opinion populaire. Les ignorants médiatiques (artistes, intellectuels divers, …) approuvent tandis que ceux qui connaissent la question (soignants, bénévoles, ..) sont majoritairement hostiles au projet, comme en témoigne une pétition de 800.000 soignants.

  12. Chère Madame que vous soyez pro vie c’est votre droit mais par pitié n’imposez pas votre avis aux autres en présentant ceux qui souhaitent officialiser l’euthanasie comme des personnes dépourvues de morale et d’empathie. Pour ma part
    je n’autorise personne à décider si je dois continuer à souffrir même bourré de morphine ou je peux décider de mon propre sort et demander à être euthanasié.

    • Je vous approuve. Si cette dame, malgré ses douleurs et handicaps physiques, a eu la « chance » (ou le bonheur) d’être bien entourée par ses « proches » ( famille; amis) et de pouvoir même continuer à profiter de voyages, y compris  » à travers le monde », qu’elle n’impose pas autres , qui n’ont pas ces conditions psychiques/affectives favorables, son mode de vie, de fonctionnement, et son « environnement »: Chacun(e) est un cas singulier; Là non plus, il n’est pas bien de généraliser (à l’instar de ce que font les « soignants »), de mettre tout le monde dans la même nasse, et de croire qu’on a la science infuse et qu’on détient la vérité…

    • Demander d’être euthanasié par qui? Personne vous interdit de vous suicider. mais dans ce cas, ni’imposez à personne l’obligation de faire un meurtre, si c’est ce quelle pense.

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