Que le peuple des dealers des cités ne se soit pas tout à fait bien assimilé aux mœurs de la société française ne fait guère de doute. En revanche, que les mêmes puissent s’intégrer au système économique d’inspiration néolibérale n’en fait plus guère, de doute. La preuve en est ce clip publicitaire, mis en ligne par des dealers phocéens, à l’efficacité mercantile que n’auraient sûrement pas reniée d’autres commerçants, l’honnêteté en plus, les fautes de Français en moins.

Ainsi nous est-il vendu cet endroit de rêve, cité des quartiers nord de Marseille, dans lequel clientes et clients sont accueillis, tels rois et reines de la journée : « Un accueil chaleureux vous seras réserver de 11 h à 2 h… » Mieux : « Au menu toutes la semaine, de la patate. » Comme souvent, comme toujours, on est en droit de s’étonner que les médias puissent s’étonner de telles pratiques, devenues la norme depuis belle lurette. Car dans les « fours », points de vente de drogues diverses et variées – il y en a pour tous les goûts et tous les prix –, avec cartes de fidélité et petits gestes commerciaux y afférents.

À Grenoble, déjà précurseurs en la matière, avec le grand rival marseillais, les dealers du paradis, plus artificiel qu’écologiste, du maire Éric Piolle avaient déjà organisé une tombola, en avril 2019. Et c’est encore sans compter sur l’attirail de tout homme d’affaires se respectant un tant soit peu, sachant que sur les réseaux sociaux est de longue date vantée toute la gamme d’avantages dont peuvent bénéficier les clients les plus fidèles : livraison à domicile et à toute heure de la nuit, jours fériés y compris. À ce titre, livreurs à bicyclette de pizzas et autres sushis, sans oublier les chauffeurs de VTC, font figure d’auxiliaires précieux.

Si l’on résume, il est autrement plus facile de se faire livrer du shit dans son petit chez-soi que de trouver un bar-tabac ouvert, à la nuit tombée. Ce que confirme, le 21 juillet dernier, Stanislas Gaudon, délégué général du syndicat Alliance Police nationale à nos confrères de L’Express: « Alors que les usagers étaient coincés chez eux [Covid-19 oblige, NDLR], la livraison de stupéfiants à domicile s’est largement répandue. […] Ils y bénéficient d’un anonymat total et d’une impossible modération des contenus qui leur permettent de brouiller les pistes très facilement. »

Daoud Boughezala, ancien rédacteur en chef du mensuel Causeur, puis reporter à L’Express, et spécialiste du sujet, nous en dit plus : « Les enfants du prolétariat immigré, qui ont grandi avec le mythe de Scarface, sont devenus des entrepreneurs presque comme les autres, à un petit détail près. Un magistrat m’a un jour confié : “N’oublions pas que la consommation excessive et précoce de cannabis provoque une explosion des maladies mentales. Quand ils ont 35 ans, les anciens petits dealers sont des débiles mentaux !” »

Et le même de poursuivre : « Les dealers se comportent en véritables chefs d’entreprise. Du patron au simple guetteur, l’écart de revenu se révèle presque aussi abyssal qu’entre Bernard Arnault et un ouvrier de Louis Vuitton. Pourtant, ils savent aussi surfer sur la mode du moment, certains dealers faisant la publicité d’herbe ou de shit “Made in France”, façon bio… » Mieux : « Cela ne m’étonne pas que le clip publicitaire que vous évoquez vienne de Marseille, toujours à l’avant-garde du business, là où certains dealers vont même jusqu’à installer des garderies pour enfants, histoire que les parents puissent aller se ravitailler en toute tranquillité. »

Paradoxe des paradoxes, c’est peut-être aujourd’hui dans ces cités que la sécurité des biens et des personnes demeure la plus assurée.

Alors, ces jeunes gens tous plus dynamiques les uns que les autres, assimilés ? Pas vraiment. Mais intégrés dans le système, sûrement…

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11 novembre 2021 à 18:00

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