Pendant ce temps, dans la France d’en haut, on s’étripe sur la souffrance animale et les états d’âme de Lilian Thuram…

café église

Qui n’a pas vu, au cours de cet étrange été post-confinement, où nombre de Français redécouvraient avec bonheur les charmes et les splendeurs de la douce France, qui n’a pas vu, donc, se multiplier les rideaux de fer baissés, pas-de-porte à vendre et cessations d’activité au cœur des petites villes, dont le passé souvent glorieux masquait mal le profond malaise, la crise économique et sociale, la pauvreté de moins en moins tenue à distance ? La crise économique qui frappe la France des petites villes et des campagnes, mise en lumière par la crise des gilets jaunes, est bien là et elle explose.

Salomé Berlioux, auteur de Nos campagnes suspendues. La France périphérique face à la crise (Éditions de l’Observatoire, 2020), expliquait à ce propos, dans les colonnes du Figaro, que de ces six Français sur dix qui vivent hors des métropoles, on a peu ou pas parlé pendant la crise sanitaire du printemps dernier : « Sans cesse il était question de réalités urbaines : les hôpitaux qui débordent, les Parisiens qui applaudissent à leurs balcons, le télétravail qui fascine par sa nouveauté, les employés Deliveroo qui continent de sillonner la ville à vélo pour livrer des sushis. » Comme si la France périphérique était une sorte d’angle mort médiatique. Loin d’être caricatural, ce constat sonne terriblement juste.

On a pu gloser, dans les derniers salons à la mode, qu’ils soient cathodiques ou politiques, des vertus de la nouvelle organisation du travail, de l’éclosion et des bienfaits du télétravail. C’est ignorer que, dans les communes de moins de mille habitants, plus de trois habitants sur dix n’ont pas Internet. Cette révolution du télétravail s’adressait majoritairement aux urbains.

Par ailleurs, poursuit-elle, « pendant le confinement, les décideurs se sont inquiétés de la rupture pédagogique et de la fracture digitale pour les jeunes urbains et les élèves des quartiers sensibles » : c’est oublier que cette fracture digitale touche en premier lieu les territoires ruraux, où étudient tout de même près de 25 % des moins de 20 ans.

En investissant depuis plus de quarante ans dans les différents plans banlieues, de créations de ZEP (zones d’éducation prioritaire, 1981) en contrats de ville, de ministères de la Ville en création de zones urbaines sensibles (ZUS, 1996), du plan banlieues de 2008 à la loi ALUR de 2014 menée par Cécile Duflot (obligation, pour les municipalités, de réserver 25 % du parc habitable aux logements sociaux), les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont méconnu, ignoré la majorité des Français, et favorisé les métropoles et zones périurbaines au détriment de 80 % des classes populaires qui constituent la France périphérique. On a ignoré la géographie et la sociologie de la France au profit d’une idéologie non dépourvue d’arrière-pensées électoralistes. On a occulté le vrai visage de la France : le peuple, ce n’était plus les ploucs, c’était les banlieues.

Le confinement, on l’imagine, a aggravé de façon vertigineuse cette fracture sociale et économique entre la France des métropoles et celle des campagnes. « Il y aura un basculement des urbains vers la ruralité, grâce aux nouveaux modes d’organisation du travail », a-t-on pu entendre, et cela entraînera sans doute un rééquilibrage en faveur des campagnes. Une utopie qui ne résiste pas à l’épreuve des faits : déserts médicaux, enclavement dû à la carence des transports publics, recul des services publics sont le quotidien de ces ruraux.

Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire, parle de 1.270.000 personnes qui ont demandé de l’aide pendant les deux mois de confinement : 45 % d’entre eux étaient inconnus de leurs services. 18 % des Français vivent à découvert, tandis que l’on prévoit plus de 62.000 entreprises qui seront en état de défaillance en 2021, soit une augmentation de 32 % par rapport à 2020.

Les gilets jaunes, c’est terminé ? Oui, ils sont trop occupés à survivre.

Pendant ce temps, dans la France d’en haut, on s’étripe non pas sur le sexe des anges mais sur la souffrance animale, les états d’âme de Lilian Thuram ou les « coronapistes »…

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

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