Et si on fleurissait la tombe du défunt inconnu ?

cimetiere
Cet article vous avait peut-être échappé. Nous vous proposons de le lire ou de le relire.
Cet article a été publié le 01/11/2017.

En ce 1er novembre 2023, nous vous proposons de relire ce texte de Gabrielle Cluzel, paru le 1er novembre 2017. 

On peut aimer les cimetières, à tout âge.

On peut les aimer enfant, pour se promener entre les tombes, déchiffrer, sur la pierre ou le marbre, les lettres dorées, parfois un peu effacées, et rêver. Car on y trouve, au détour des allées, plus de frissons et de beaux sentiments que dans toute une bibliothèque rose. On y rencontre des jeunes filles en fleur qui n’auront jamais eu le temps de faner, laissant des parents ou - qui sait - un fiancé éplorés. De beaux bébés emportés par la maladie, de sveltes soldats moustachus tombés pour la France, des vieillards dont la veuve cacochyme est aussi inconsolable qu’une jeune épousée : « À mon cher Robert, regrets éternels. »

On peut les aimer étudiant, avant les partiels, pour se balader en solitaire et se changer les idées, sans aucun pénible gougnafier s’inquiétant de savoir - de quoi je me mêle ? - « si les révisions avancent ». On y croise, bien alignés, des centaines de gens ayant réussi brillamment tout un tas de concours compliqués, qui leur font aujourd’hui une belle jambe. Cela détend.

On peut les aimer adulte, quand on commence à y compter, six pieds sous terre, la majeure partie de ses souvenirs d’enfance et plus de relations que dans son propre quartier… et que l’on se dit, in petto, que le jour du Jugement dernier, quand tout ce beau monde-là se relèvera et se tombera dans les bras, le lieu sera vachement sympa.

On peut même ne pas les aimer, les trouver glauques, humides, vaguement inquiétants, mais se faire un devoir d’y aller. Qui, parmi les jeunes adultes, visite, le jour des morts, la tombe de ses aïeuls ? Qui sait seulement, passé une génération, où ils sont enterrés ? La faute, dit-on, à « l’éclatement géographique ». À défaut de son grand-père, enterré au diable Vauvert, on peut visiter le « grand-père inconnu », à la tombe usée, couverte de mousse, la croix fêlée, l’inscription illisible et qui ne s’est pas vu offrir un chrysanthème depuis le siècle dernier. En espérant qu’un brave gars en fera autant, dans un autre cimetière, pour sa propre parentèle. Parce qu’honorer les morts, c’est aussi montrer que notre civilisation, elle, vit encore.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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