Durant douze jours, le monde entier a vécu à l’heure de Big Ben. Uniformes chamarrés, têtes couronnées, protocole parfaitement huilé…

Cette fois, la dépouille de la reine d’Angleterre arrive au bout du chemin. Cela tombe bien, car l’inspiration des commentateurs est elle aussi en fin de course. Ils commencent à se répéter. Avec notamment ce mantra : « La reine ne faisait pas de politique. » Cela lui permettait de rester au-dessus de la mêlée. Et de faire ainsi l’unité. Sans doute Charles III, qui se pique d’écologie, et que certains médias nous présentent comme une sorte de Yannick Jadot couronné, ferait bien de se le tenir pour dit. La vérité force à dire qu’on lui fait faire quand même de la politique à titre posthume en ne conviant pas à ses obsèques la Russie. Gageons qu’il y aura malgré tout quelques représentants officieux en la personne d’un ou deux Romanov ; on sait les mille liens qui unissaient les tsars de Russie à la famille royale d’Angleterre.

Mais la vérité est que la reine ne faisait pas de la politique, elle ÉTAIT politique. Une incarnation du conservatisme, une relique de notre civilisation. Jusque dans la mort.

« Maintenant, tu sais » : c’est ce qu’avait répondu, le 14 avril 1995, François Mitterrand à Bernard Pivot à la question de savoir ce qu’il aimerait que Dieu lui dise quand il arriverait dans l’au-delà. Maintenant, Élisabeth II « sait » et il est possible que dans sa solitude mystérieuse et dépouillée de trépassée, le faste, les hommages, le défilé des personnalités, la foule sur le trottoir… lui fassent une belle jambe.

À la crypte des Capucins de Vienne, sépulture de la famille impériale d’Autriche, il y a tout un rituel, décrit par Jean Sévillia : pour Zita, en 1989, le corbillard était arrivé, trois coups avaient été frappés sur la porte close : « Qui demande à entrer ici ? »

« Je suis Zita, impératrice d’Autriche, reine apostolique de Hongrie, reine de Bohême, de Dalmatie, de Croatie, de Slavonie, de Galicie, de Lodomérie et d’Illyrie, reine de Jérusalem, archiduchesse d’Autriche, grande-duchesse de Toscane et de Cracovie, duchesse de Lorraine, etc. » (il en reste dix lignes).

- Je ne la connais pas. Qui demande à entrer ici ?

- Je suis Sa Majesté l’impératrice d’Autriche et reine de Hongrie.

- Je ne la connais pas. Qui demande à entrer ici ?

- Je suis Zita, une pauvre pécheresse, et j’implore la miséricorde de Dieu.

- Alors, tu peux entrer. »

Parmi toutes ces vieilles vertus de la monarchie, que l’on redécouvre avec émerveillement, comme de jolis déguisements déstockés du grenier, il y a celle-ci qui, quoique très désuète, n’est pas négligeable : les souverains de nos monarchies chrétiennes étaient conscients d’avoir des comptes à rendre. Là-haut. La pointe d’humeur de Louise de France, fille de Louis XV, contrariée par l’une de ses servantes, est d'ailleurs passée à la postérité : « Souvenez-vous que vous parlez à la fille de votre roi. » Celle-ci de lui répondre aussi sec : « Souvenez-vous que vous parlez à la fille de votre Dieu. »

Au moins Élisabeth II pourra-t-elle, devant son Créateur, le jour du Jugement dernier, plaider avoir fait défiler la Terre entière devant l’orbe, posé sur son cercueil, un globe précieux surmonté d’une croix qui symbolise le monde chrétien. Et de nos jours, ce n'est pas rien.

 

 

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18 septembre 2022 à 15:20

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27 commentaires

  1. Retransmission des obsèques. Bravo Antenne 2 aux courts et sobres commentaires respectueux de la cérémonie et des téléspectateurs . Quant à BFMTv et Cnews, quels bavardages, quels bavardages, quels étalages pour ne rien dire. Une totale ignorance des attentes des téléspectateurs. Je me suis bien vite réfugié sur l’A2 .

  2. Cette reine sans pouvoirs officiels réussissait à maintenir le respect d’une civilisation aujourd’hui attaquée de toutes parts. Le panache, peut-être désuet, mais représentant l’élégance et la dignité, risque de disparaître progressivement. Pour le plus grand bonheur, je suppose, de ceux qui préfèrent un président en baskets qui les « emmerde »…

  3. A la Hofburg à Vienne il y a un tableau émouvant représentant la cérémonie symbolique traditionnelle de lavage des pieds des indigents par l’empereur François-Joseph en souvenir du Christ

  4. Votre articles est en fin de compte un très bel hommage à Elisabeth d’Angleterre ,mettant un beau point final aux discours entendus , comme une litanie, sur toutes les chaines d’infos . Quand je vois tout ce « folklore » des files d’attentes pour approcher le cercueil , je suis partagé entre deux sentiments ; est -ce le signe d’un retour à nos valeurs chrétiennes et occidentales , préfigurent elles l’enterrement de celles-ci ? Ou est-ce juste une façon fataliste de se dire : « j’y étais » , lorsque le mondialisme, plus tard ,aura fait ses ravages irrémédiables .

  5. Quelle leçon ! Tous les pays du monde et particulièrement les pays européens et les usa doivent retenir la leçon sur la façon d’organiser les grands événements, mais surtout s’inspirer de la façon dont on respecte les traditions dans ce grand pays qui a quitté l’Europe pour sa sauvegarde.
    God save the king and Great Britain.

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