Alors que la pandémie semble marquer le pas, la géopolitique, elle, ne prend jamais de vacances, sachant que la nouvelle guerre froide entre Chine et USA n’est pas non plus en congés depuis la chute conjointe du mur de Berlin et de l’URSS.

Ainsi, Washington n’en finit plus d’accuser Pékin, de face ou par la bande, d’être responsable de la propagation du Covidd-19, « virus chinois », Trump dixit. Mike Pompeo, équivalent américain de notre ministre des Affaires étrangères, estime même disposer de « preuves ». De son côté, Mike Ryan, l’un des principaux experts de l’OMS, organisme international auquel la Maison-Blanche vient récemment de couper les vivres, affirme : « Nous n’avons reçu aucune preuve basée sur les données spécifiques de la part du gouvernement américain. »

Voilà qui nous ramène en 2003, quand les Américains se démenaient pour administrer d’autres « preuves » relatives à l’existence « d’armes de destruction massive » en un Irak déjà ramené à l’âge de pierre par leur précédente équipée humanitaire de 1990. De son côté, la Chine, non sans surprise, refuse catégoriquement jusqu’à l’idée d’enquête internationale sur le sujet, tel qu’annoncé aujourd’hui par Chen Xu, son ambassadeur à l’ONU.

On aura donc compris que, dans cette affaire, le coronavirus n’est qu’un nouveau prétexte en cette guerre que se mènent les deux puissances mondiales, l’une déclinante et l’autre en résistible ascension. Et la France, dans tout cela ?

À son plus haut niveau, elle est divisée entre les deux traditionnelles tendances cohabitant, vaille que vaille, au Quai d’Orsay et dans ce qu’il n’est pas saugrenu de nommer, aussi chez nous, ce fameux « lobby militaro-industriel » plus connu sous le nom d’« État profond », jadis théorisé par le président américain Dwight Eisenhower dès 1961.

Ce mercredi 6 mai, Jean-Dominique Merchet, expert en relations internationales, en dit plus dans L’Opinion, quotidien pourtant peu connu pour son anti-atlantisme militant, à propos du fameux laboratoire P4, coproduction franco-chinoise au cœur de tant de polémiques actuelles : « Décidée en 2004 par le Président Jacques Chirac, elle s’est aussitôt heurtée à un refus de “l’État profond”. Ces hauts fonctionnaires et ces experts “occidentalistes” critiquaient alors la “naïveté” d’un Jacques Chirac plus tourné vers l’Asie que vers l’atlantisme. » Plus éclairant encore : « Ils lui reprochaient sa vision d’un monde “multipolaire” qui ne faisait pas la part assez belle à l’Occident. »

Là repose, en effet, toute la question dans les plus hautes instances de l’État, « profond » ou pas, soit la différence entre ces deux vocables que sont « Europe » et « Occident : l’Europe est une réalité historique tangible et à peu près délimitée par des frontières imposées par la culture, l’histoire et la géographie. L’Occident, quant à lui, n’est qu’un vaste sous-ensemble flou, allant des USA jusqu’au Japon, tout en passant par Israël et la Corée du Sud, et dont l’Europe ne demeure que périphérie lointaine et zone touristique.

Ce qui peut aussi expliquer pourquoi, à en croire une récente enquête du Point, la collaboration entre Pékin et Paris sur le laboratoire P4 a été « torpillée par une partie de l’administration française ».

Emmanuel Macron tente manifestement de naviguer entre ces diverses tendances. Celle du CAC 40 qui intimait à Chirac d’en rabattre quant à son opposition à Washington et sa croisade de 2003, au motif qu’une large partie de son chiffre d’affaires se faisait outre-Atlantique. Mais également à celle gangrenant sa propre administration qui peut, à la limite, tolérer ses timides tentatives de rapprochement avec Moscou, seconde bête noire de la Maison-Blanche. Mais qui tousse plus fort devant ce Président n’arrivant pas totalement à stigmatiser la Chine au profit des seuls USA.

Un peu comme si Emmanuel Macron avait fini par comprendre que si la Russie est un concurrent, la Chine un adversaire, l’Amérique demeure un suzerain.

3385 vues

06 mai 2020 à 17:17

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.