Pour les masques : ils empilent les mots, ils enfilent les perles

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Qui aurait cru qu’un jour, l’instrument-jauge destiné à mesurer l’efficacité de la France serait un carré de tissu de 0,04 m² auquel pendouille, comme des oreilles de cocker, deux élastiques ? Pas sophistiquée, cette jauge ! Ce n’est pas la traduction écrite d’une série d’algorithmes compliqués, ni le résultat corrigé d’un sondage curieux, ni la simulation en laboratoire d’un échantillon représentatif de quelque chose, ni le jus de cerveau d’une équipe de chercheurs. Non ! Cet instrument de mesure, c’est le masque.

On a tout dit sur sa pénurie – « y en a pas, mais on ne vous le dit pas et ça n’a pas d’importance ! » –, sur la difficulté à le mettre – n’est-ce pas, Sibeth ? –, sur sa « protectionnabilité » – tissu contre SSP1 contre SSP2. Mais on n’a pas dit grand-chose sur sa fabrication, bien que le mot d’ordre officiel soit : « Ils arrivent… mais fabriquez-en quand même, c’est plus sûr. » Et les Français de fabriquer des masques. La méthode ? Aucune ! Chacun se débrouille.

Alors, l’État entre en jeu ! Avec ses gros doigts de cousette modèle, il faut impérativement qu’il dise comment faire, quoi couper, quel fil utiliser, quel élastique tendre, quel lavage prévoir… Pour ce boulot, l’AFNOR (Association française de normalisation) s’est fendue, sous le nom de code « jamesbondesque » de « AFNOR SPECS76-001 », d’un « Guide d'exigences minimales, de méthodes d'essais, de confection et d'usage ». Ce document est un petit miracle de l’efficacité à la française, un chef-d’œuvre.

Pour expliquer comment fabriquer un simple masque, il faut 36 pages : une page d’introduction avec photo du directeur général – on se demande bien pourquoi ! –, un sommaire de deux pages, une page d’avant-propos, une page de lexique et, enfin, on peut se mettre à fabriquer. Pour commencer, il faut respecter des mesures : « distance bigoniale, 132,5 à 144,5 mm », « longueur menton-sellion, 123 à 135 mm », « arc bitragus-gnathion, 295 à 315 mm » ! Oh, zut ! voilà déjà la migraine ! Parvenu difficilement à ce point de départ, je jette l’éponge ! Aucune envie de me farcir encore trente pages de cet invraisemblable sabir, tout fait d’« essai dynamique au débit sinusoïdal » et d’« exigences EN 13274-7:2019 ».

Au diable ce masque « afnorisé » ! Je ferai comme John Wayne : un foulard triangulaire sur le museau ; pas besoin de 36 pages pour faire un nœud sur la nuque.

Cette logorrhée impigeable, c’est une maladie française incurable. Pour un article récent, j’ai eu à compulser la loi NOTRe sur l’organisation du territoire. Eh bien ! elle noircit 141 feuilles A4 sans espaces, dans lesquelles tiennent, à touche-touche, 84.319 mots ! De la folie ! Le seul article 59 comporte 16.359 mots. Pour fixer les esprits, un article de Boulevard Voltaire, c’est 500 mots.

Rien ne justifie cette façon d’écrire les normes et les lois, sinon le décalage abyssal et mortel entre les pondeurs de ces textes et le bon peuple auquel on demande, pourtant, de s’y conformer. Conseil à ces cuistres. Lisez Pascal, vous y trouverez cette perle : «Je n'ai fait [cette lettre] plus longue que parce que je n'ai pas eu le loisir de la faire plus courte. » Et pourtant, du loisir, ils en ont !

Yannik Chauvin
Yannik Chauvin
Docteur en droit, écrivain, compositeur

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