Il est des jours dont on se souviendra longtemps, peut-être toujours. Qui a oublié sa sidération face à l’écran qui montrait en temps quasi réel les attentats du 11 septembre 2001 ? Cette rémanence est sans doute infinie. Et il y a cette soirée du lundi 15 avril 2019, c’était le début de la Semaine sainte. Après avoir appris, via Twitter, que ce feu se déclarait, après avoir zappé sur les chaînes d’information en continu, je suis allé au Sacré-Cœur à Montmartre pour y prier. Puis je me suis rendu place Saint-Michel. J’y ai retrouvé des amis, et de vagues connaissances, et des anonymes qui tous souffraient de ce brasier.

Il y a eu des prières dans la rue, des chants. Il fallait bien confier à Dieu et à Marie ceux qui risquaient leur vie à proximité du brasier, et aussi cette église de pierre où le peuple rencontre son Dieu, et aussi cette église de chair qui demain se verrait privée de sa cathédrale, au-delà même du strict diocèse de Paris, tant la cathédrale Notre-Dame est plus que parisienne, plus même que française : elle est universelle. Et depuis un an, stabat mater dolorosa : la mère se tenait debout, comme le dit la séquence qui évoque la douleur de Marie au pied de la croix.

Il y a eu ensuite les bonnes nouvelles : le bilan humain, vierge ; les œuvres, préservées ; les structures, peut-être sauvables, et l’élan de générosité constaté en France et dans le monde. Et puis le très fugace consensus d’un peuple dans la douleur. Il y a eu les moins bonnes : la révélation de l’incurie du ministère de la Culture en matière de prévention, le chèque en blanc législatif que s’est signé le pouvoir en place, la tentation d’un geste architectural fort, la précipitation affichée pour la restauration, le nomadisme imposé à l’archevêque privé de sa cathédrale, les pitoyables obscénités d’un triste amuseur sans vraiment de talent.

Il y a aussi les vraies interrogations, les incertitudes. Le Président et son Premier ministre ont-ils ri de ce drame ? Que ce soit oui ou non, ils seront jetés dans les poubelles de l’Histoire pour d’autres bonnes raisons. L’enquête qui ne conclut rien, et surtout pas à une piste qui incriminerait une volonté de détruire ? C’est bien souvent une conjonction de faits individuellement insuffisants et même insignifiants qui créent les conditions d’une catastrophe, même si certains relèvent de la négligence insupportable. Au pays de Descartes, ça nous indispose, mais il faut s’y résoudre. La personnalité du général nommé pour présider à la reconstruction ? Clivante, comme ses maîtres : ce n’est sans doute pas une bonne idée. La controverse sur la pollution due au plomb de la couverture ? Il semblerait que, pour une fois, le travail ait été fait en transparence. La plus douloureuse est sans doute cette absence de certitude absolue quant à la capacité de sauver les structures existantes tout en conservant une solidité de l’édifice suffisante, le mélange feu et eau n’étant pas idéal pour conserver aux pierres leurs qualités mécaniques. Le diagnostic final devra attendre le démontage du reste de l’échafaudage qui est, peut-être, la clef de voûte qui maintient aujourd’hui la nef de l’édifice.

Notre-Dame de Paris est mutilée et doublement inaccessible, en ces temps de confinement. Elle manque aux catholiques de Paris ou d’ailleurs. Elle manque aussi aux Parisiens et aux touristes qui auraient aimé se rendre à Paris. Mais l’espoir de la voir reconstruite n’est pas vain. Nous serons patients, nous n’avons guère le choix. Il reste que nous pouvons l’aimer de loin, ce vaisseau de pierre qui fend la Seine, comme un bateau au radoub. Fluctuat nec mergitur !

Qu’il soit permis à un catholique du Morbihan qui nomadise souvent à Paris (hors période de confinement, bien sûr !) de témoigner ici de sa gratitude à Notre-Dame d’avoir protégé les pompiers et les personnes qui œuvrent à sauver sa cathédrale, et de son espoir de voir un jour sa restauration, si Dieu lui prête vie.

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14 avril 2020 à 15:23

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