Noël et l’individu désaffilié

Dieu

Que restera-t-il de Noël ? Rangé au rayon contes et légendes par la plupart de nos contemporains, le récit de la Nativité embarrasse même certains chrétiens subissant depuis longtemps les sarcasmes des démythologisateurs de tout bord. Quant aux autres, Noël n’est pour eux que l’un des derniers vestiges d’une idéologie « patriarcale blanche hétéronormée », tout juste bonne à être recyclée avec crèches et sapins dans les composteurs de la cancel culture.

Alors, qui se préoccupe encore de la scandaleuse proclamation « Le Verbe s’est fait chair » ? Saint Paul se considérait pourtant porteur d’un message libérateur : « Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs, qui nous fait nous écrier : “Abba, Père !” » (Rm 8, 15). Seulement, nous dira-t-on, vous oubliez que les prophètes de la mort de Dieu sont passés par là. Et que cette relation filiale masquait de terribles rapports de domination. Il fallait donc se libérer du Père et de toutes ses figures.

Partie des États-Unis avant de se répandre en Europe, la contre-culture des années 60 s’y est employée. Les révolutionnaires-adolescents voulaient établir une société de « frères » d’où le père avec son autorité et ses lois serait banni. Il fallait « décoloniser l'enfant ». On chantait la fin de la société patriarcale et l'avènement d'un individu libre et autonome. Aujourd’hui, cet individu veut choisir son nom, son sexe, sa couleur. Rien ne doit plus faire obstacle à sa toute-puissance créatrice. Ni l’historique, ni le biologique.

Mais, alors, comment faire société avec des individus qui refusent toute limite ?

Comme l’avait compris Dostoïevski, et comme le XXe siècle l’a démontré de façon tragique, la liberté illimitée, célébrée sur le tombeau du Père assassiné, finit par se convertir en arbitraire et l’arbitraire en esclavage. La violence qui explose aujourd’hui a également partie liée avec le rejet de toute norme s’imposant de l’extérieur.

Le psychiatre Dominique Barbier, dans son livre La Fabrique de l’homme pervers, ne craint pas d’affirmer que « l’Histoire montre l’évolution progressive des hommes vers la perversité, corrélativement à la diminution, puis au déclin de la fonction paternelle ». Nous assistons chaque jour au retour du refoulé dans nos débats de société : identité, transmission, (in)différenciation sexuelle, culte de la jouissance versus acceptation du manque et de la perte, fuite dans le virtuel, intégration de la loi et de l’interdit… La problématique de l’éviction du père est omniprésente.

Et l’islamisme, qui irrigue les territoires perdus, y participe également en faisant surgir du plus profond des sables d’Arabie un Dieu qui exige la soumission absolue à sa loi d’airain.
Encore un Père qui ne laisserait d'autre possibilité à l'homme que l'obéissance servile ou la révolte.

De manière inconsciente, notre société tourne en boucle autour de la question du Père et de la relation filiale : il faudrait choisir entre individu désaffilié ou individu soumis.

Et dire que certains chrétiens, qui, à Noël, viennent de célébrer le mystère de l’Alliance, pensent que leur foi n’a plus rien à dire au monde présent.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

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