Nicolas Sarkozy, les juges et la nation française

Dans l’entretien qu’il a eu avec Gilles Bouleau, au 20 Heures de TF1, mercredi dernier, Nicolas Sarkozy a vigoureusement dénoncé l’injustice de sa condamnation par le tribunal correctionnel de Paris. Trois jours plus tard, sur le plateau de TV Libertés, Régis de Castelnau a dit tout ce qu’il pensait de cette condamnation et, plus généralement, de cette Justice bien pressée, à ses yeux, de s’emparer des dossiers concernant la droite. Un débat entre cet avocat et l’ancien magistrat Philippe Bilger, plus conciliant sur cette affaire, mériterait d’être organisé. Il y a fort à parier que les téléspectateurs se précipiteraient chez leur libraire pour acheter le livre du premier, Une justice politique. Des années Chirac au système Macron, histoire d’un dévoiement, paru en janvier dernier aux Éditions de L’Artilleur.

Cette décision de justice, qui est une première dans l’histoire de la Ve République puisqu’elle condamne un ancien Président à trois ans de prison dont un an ferme, est d’autant plus surprenante que la preuve de la culpabilité du prévenu n’a pu être apportée. Si celui-ci a fait immédiatement appel, il a également pris les devants et déclaré qu’il irait, s’il le fallait, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. Que des décisions de justice puissent être politiques, cela est difficilement contestable, sauf à se complaire dans la naïveté ou la mauvaise foi. Il n’en reste pas moins que la chose est inacceptable, et qu’elle est scandaleuse lorsqu’elle est avérée.

L’inquiétant est peut-être ailleurs. Reconnaissant que leur décision ne s’appuyait que sur un faisceau d’indices qui ne pouvait tenir lieu de preuve, les juges auraient pu être soulagés de n’avoir pas à condamner à de la prison ferme un ancien président de la République et, ainsi, à n’avoir pas à porter atteinte à l’image de la France. Aussi est-on amené à se demander si la séparation des pouvoirs ne serait pas peu à peu interprétée par certains magistrats comme l’autorisation, pour le pouvoir judiciaire, d’inaugurer un séparatisme d’un nouveau genre.

Ne serait-on pas également en droit de se demander si Nicolas Sarkozy et certains juges, malgré ce qui peut les opposer politiquement, ne communieraient pas dans un même abandon de l’idée de nation devenue à leurs yeux obsolète. Pour Nicolas Sarkozy, comme pour tous les européistes, la nation serait en attente de son dépassement dans une supranationalité européenne, d’où sa décision prématurée, et comme allant de soi, de se tourner en dernier ressort vers la Cour européenne des droits de l’homme. Pour les autres, fidèles à de vieilles lunes internationalistes, l’idée nationale serait à dépasser au profit d’une vision communautariste de la société, d’où leur indifférence à l’image du pays et à ce que son identité peut représenter encore aux yeux du monde.

« J’irai jusqu’au bout parce que je n’ai rien perdu de mon énergie malgré mon âge », a conclu l’ancien Président. Cette énergie est une qualité qu’on lui reconnaît encore volontiers. Elle apparaît, toutefois, surjouée et dérisoire. Que ne l’a-t-il mise au service des Français ? Que n’a-t-il commencé par respecter leur rejet, en 2005, du projet de traité constitutionnel européen ? Ne s’agissait-il pas, là aussi, d’une profonde injustice ? À quelles difficultés, à quels drames aussi, sa surdité et sa désinvolture d’hier n’ont-elles pas, depuis quinze ans, condamné le pays ?

Jérôme Serri
Jérôme Serri
Ancien collaborateur parlementaire, journaliste littéraire

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