Ce n’est pas avec de beaux sentiments qu’on fait une bonne Justice

Avocat général à la cour d'assises de Paris, les larmes des jurés, parfois des magistrats, ont certes pu m'émouvoir mais surtout me gêner. Un mélange des genres qui me mettait mal à l'aise.

Comme si l'expansion du cœur et la profusion de la sensibilité risquaient de les détourner de la lucidité froide, de l'intelligence équilibrée dont la justice criminelle doit faire preuve, plus que toute autre.

Maëlys a disparu dans la nuit du 26 au 27 août. Nordahl Lelandais a été mis en examen notamment pour homicide volontaire à Grenoble et écroué.

Le même, alors que le caporal Arthur Noyer était introuvable depuis le 12 avril, a été mis en examen à Chambéry le 20 décembre du chef d'assassinat de ce dernier et incarcéré.

Nordahl Lelandais conteste ce qui lui est reproché dans l'une et l'autre affaire.

Des investigations sont diligentées pour vérifier si celui-ci ne pourrait pas être relié d'une manière plausible à une série de disparitions et de crimes demeurés non résolus et susceptibles de se rattacher à son environnement. La tuerie de Chevaline et la disparition d'Estelle Mouzin, en l'état, semblent devoir être écartées.

Les parents d'enfants disparus dénoncent les carences de la Justice. Je les comprends mais, en même temps, cette dernière, pour exploiter vite des éléments significatifs et des données troublantes, doit évidemment les connaître et en avoir recueilli (Le Figaro).

À la suite de la disparition et du meurtre de Maëlys, cette petite victime âgée de 9 ans, j'ai l'impression qu'on n'en finit pas avec une politique des bons sentiments.

Deux marches blanches, dont la seconde tout récemment, dont on affirme qu'elle pourrait permettre de découvrir la vérité - ce qui est absurde -, compassion et solidarité (Dauphiné Libéré).

Conférence de presse des parents, sur le conseil de leur avocat Me Fabien Rajon, pour solliciter de Lelandais qu'il indique où se trouve Maëlys. Entreprise pathétique évidemment vouée à l'échec.

Témoignage "bouleversant" de la tante de Maëlys.

Vidéo sur elle diffusée par ses parents.

Me Rajon conteste la tactique de défense de Me Jakubowicz et s'en prend à Lelandais qui ne veut pas dire la vérité.

Je ne tourne en dérision aucune de ces péripéties, de ces émotions, mais elles paraissent plus représenter une défaite de la Justice que son possible accomplissement. Comme si on espérait par l'entremise du bon cœur que Lelandais, s'il est coupable, procure ce que la procédure n'obtient pas de lui !

Au-delà de Nordahl Lelandais qui, profondément, doit se réjouir d'être le centre de tout, en demeurant impénétrable et en offrant la forteresse de ses dénégations, qualifié de "tueur en série", médiatiquement consacré, je récuse cette tendance qui, en quelque sorte, se contente de proférer : à vot'bon cœur, messieurs les assassins !

D'eux, il n'y a rien à attendre ni à espérer. La douleur partagée, l'accompagnement collectif, la solidarité émue : autant d'attitudes qui font chaud au cœur, consolent un peu mais sont totalement éloignées de l'efficacité et de la rigueur de la Justice.

Alors que cette dernière aurait dû veiller à une extrême - mais acceptable - rapidité dans la gestion du premier dossier Lelandais, on peut craindre que le second entraîne du retard par un mécanisme de connexité.

Je continue à penser que le plus bel hommage à rendre à la mémoire des victimes est de sanctionner vite et sévèrement leurs meurtriers ou, pire, leurs assassins.

Pour Maëlys, il n'y a qu'une chose à exiger de la Justice : que Nordahl Lelandais comparaisse dans les meilleurs délais devant une cour d'assises.

Et l'arrêt de condamnation vaudra bien mieux qu'une marche blanche !

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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