Mortelles Confessions et Flagellations : éducation anglaise…
Entre tempête hollywoodienne et orage à venir des César, le temps se couvre dangereusement pour les cinéphiles estimant que le septième art vaut mieux que les coucheries des uns et des autres : Weinstein outre-Atlantique ou Act Up en nos contrées. 120 battements par minute, film narrant l’épopée de cette Armée du salut new look, devrait ainsi être largement césarisé, à en croire les pronostics des professionnels de la profession.
Loin de ce pénible tumulte, de modestes amoureux du cinématographe persistent et signent. Ceux d’Artus, par exemple. Qui, maintenant depuis plus de dix ans, s’acharnent à dénicher gemmes et pépites du cinéma européen à l’ancienne. La dernière livraison est anglaise. Pour les sectateurs du genre, il n’y a que les films de la Hammer qui tiennent – Christopher Lee en comte Dracula et Peter Cushing en baron Frankenstein –, mais après ? Après, il y a, justement, un après.
Peter Walker en est un peu l’une des incarnations les plus méritantes. Avec lui, le cinéma « indépendant » n’est pas un vain mot, au contraire d’un Quentin Tarantino qui, financé par le Weinstein en question, fait du cinéma faussement populaire à destination des vrais snobs. Avec l’argent gagné avec quelques films un brin dénudés – Swinging London des sixties oblige –, Peter Walker, donc, rassemble assez de pépettes pour financer et réaliser ses propres films. D’où Mortelles Confessions et Flagellations, ses deux fleurons.
Il y a là peu de moyens, mais d’exceptionnels artisans. Photographie sublime, scénarios en béton armé et interprétation haut de gamme, la plupart des acteurs ayant été formés à l’école du théâtre shakespearien. Mortelles Confessions ? L’histoire d’un prêtre tueur, qui n’est pas sans rappeler celui d’Uruffe, en France, curé qui assassina sa maîtresse, enceinte de ses œuvres. Le film est glaçant, superbement mis en scène, « dérangeant », comme on dit. Flagellations participe du même registre, anglais toujours, telle l’éducation du même nom. Un couple confit en dévotion dirige une école de redressement pour le moins particulière, destinée à remettre de jeunes filles en perdition dans le droit chemin. Là encore, le résultat est singulièrement perturbant.
À l’époque, Peter Walker est accusé de faire dans l’antichristianisme militant. Ce procès est un faux procès. Ce n’est pas celui du christianisme qu’il instruit, mais celui du puritanisme ; il n’est pas anglais pour rien. Et, à l’instar de ses augustes prédécesseurs de la Hammer, tout est toujours plus complexe qu’il pourrait y paraître au premier abord. Certes, le clerc, laïc ou non, y est la figure centrale. Mais à la religion dévoyée qu’il entend promouvoir, une autre figure s’interpose toujours : le prêtre aimant et miséricordieux dans le premier cas ; la femme « libérée » mais détestant la débauche dans le second. Voire même le simple clampin qui, sans l’avoir théorisé, pratique cette "décence commune" si chère à George Orwell. Un des héros de Flagellations se nomme « monsieur Gentil » ; c’est dire.
Ces nuances ne paraissent plus être de mise aujourd’hui ; tant, à de trop rares exceptions, les méchants sont désormais très méchants et les gentils très gentils. Aux USA, le gentil est un crétin extrême en collants qui se bat à coups de rames de métro. En France, c’est un intellectuel précaire à cheveux gras qui attend… le métro, tout en méditant sur la montée des extrémismes. Le méchant ? Un mafieux russe acoquiné à des islamistes colombiens sous l’égide d’un Français extrémiste qui fume ; ou quelque chose d’approchant. Dans les deux cas de figure, c’est extrêmement nigaud.
Ces deux films, merci aux archéologues d’Artus de les avoir exhumés en des copies irréprochables. Car ils nous rappellent qu’il fut un jour une époque où les Européens savaient encore faire du cinéma intelligent. À voir d’urgence, donc, sauf peut-être pour les âmes les plus sensibles. Quoique… Ces dernières feront bien un petit effort tout en se faisant une douce violence. Car cela vaut amplement le coup. Vraiment le coup.
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