« La médiatisation que le juge Lambert a peut-être souhaitée fut pour lui un enfermement »
Philippe Bilger réagit à la nouvelle du suicide du juge Lambert. Il se souvient d'un homme gentil et affable, avec une vision très sulpicienne de la Justice. Cette disparition rajoute une touche infiniment sombre et désespérée à l'affaire Grégory dont on espérait, ces jours derniers, qu'elle allait être enfin résolue.
Nous avons appris la tragique fin de l'ex-juge Lambert. Il avait instruit le dossier du meurtre du petit Grégory.
Il se serait suicidé à un moment où l'histoire connaît un rebondissement. Quel est votre regard sur cette histoire dramatique qui n'en finit pas ?
Quand j'ai appris la nouvelle hier soir, cela a été terrible.
Le fait que cette personne ait décidé de se supprimer avec ce désespoir et, d'une certaine manière, ce courage démontre qu'il en avait assez de sa vie.
À la suite du rebondissement de l'affaire Grégory, un climat tragique s'est amplifié.
Je voudrais être très pudique au sujet du suicide du juge Lambert.
Bien souvent, les causes des suicides sont équivoques.
On ne sait rien.
Il y aurait même de la vulgarité de ma part à m'immiscer dans les ressorts qui l'ont conduit à se supprimer.
Peut-être y a-t-il, en effet, une part de la révélation des carnets intimes du juge Simon.
Peut-être y a-t-il eu, depuis toujours, chez lui, une forme de mélancolie, de difficulté d'être.
Mais cela rajoute assurément une touche infiniment sombre et désespérée à cette affaire dont les rebondissements récents pouvaient nous donner l'impression qu'ils allaient enfin aboutir à une lumière, et je ne l'exclus toujours pas, d'ailleurs.
Ce juge avait été très critiqué et mis sous pression médiatique à l'époque. Outre la question du suicide, sur laquelle il faut rester extrêmement prudent, est-ce que la presse peut prendre une part importante dans ces affaires et maintenir pendant des années une pression qui en devient extrêmement difficile à supporter ?
Sûrement.
Cela n'est pas porter atteinte à sa mémoire que de dire qu'il a été extrêmement critiqué dés qu'il a commencé à instruire cette affaire.
De l'aveu unanime, il a commis des erreurs et des maladresses.
La médiatisation qu'il souhaitait a probablement été en même temps une sorte d'enfermement.
Le stress qu'il a subi, la détresse qu'il a éprouvée, la gloire, la lumière qui se sont projetées sur lui ont probablement créé, au fil des années, une atmosphère dont il a eu du mal à sortir.
Je l'ai très peu connu, en réalité.
Je l'ai croisé une ou deux fois dans des salons du livre.
Il écrivait dans Service littéraire, où moi-même j'écris, la très bonne publication de François Cérésa, mais je ne peux pas dire que je le connais.
Tout ce que je peux dire, c'est que lorsque je l'ai croisé, c'était un homme extrêmement gentil et affable.
Je me souviens d'un livre qu'il avait écrit. J'avais été très étonné par sa vision très sulpicienne de la Justice.
Mais quand j'ai appris sa mort hier soir, cela a été terrible, comme si je le connaissais de tout éternité.
Au fond, cela n'est pas faux. L'affaire Grégory dure depuis trente ans. En cela, lui comme personnage judiciaire faisait partie, en quelque sorte, de notre Histoire de France. C'est terrible, car pour lui, c'était d'une certaine manière pour le pire avant qu'il fasse advenir le pire pour lui-même.
Quel serait le mot de la fin que vous mettriez sur la vie tristement achevée de cet homme ?
Je voudrais respecter une tonalité de réserve, de retenue et de pudeur.
C'est très difficile de parler d'un homme comme lui.
Il a été infiniment critiqué durant des années.
Il continue à rester dans la mémoire de beaucoup de gens comme un magistrat un petit peu malheureux sur le plan de la pratique professionnelle.
J'ai beaucoup aimé l'attitude de Maître Moser lorsqu'il a appris la mort de Lambert.
On est gêné.
Il y a le respect dû à l'homme et la lucidité par rapport au professionnel. Mais tout ce qui doit dominer, aujourd'hui, c'est un silence et une pudeur absolue.
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