Me Frédéric Pichon : « Je ne vois pas pourquoi les magistrats ne seraient pas soumis à la responsabilité personnelle. Cela restaurerait la confiance »
Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti défend son projet de réforme devant l'Assemblée nationale, un projet de loi pour la « confiance » dans la Justice.
Me Frédéric Pichon revient sur les principaux points de ce projet. Il estime que la formation des magistrats et leur responsabilité devraient davantage être mises en avant.
Le projet de loi de réforme de la Justice est arrivé à l’Assemblée nationale. Cette réforme est censée restaurer la confiance entre les citoyens et la Justice. Cette réforme est-elle nécessaire ?
Il est nécessaire de réformer la confiance entre les citoyens et la Justice, mais je pense que l’on s’y prend assez mal. Il me semble que les outils utilisés ne sont pas les bons.
De mon point de vue, il y a deux problèmes fondamentaux. Le premier problème est celui de la formation des magistrats. C’est un problème de fond qui ne peut pas se résoudre du jour au lendemain par des réformettes.
Le second problème, c’est la responsabilité professionnelle et personnelle des magistrats pour des faits graves dans lesquels ils causent des torts à des justiciables. Cela peut être des procédures extrêmement longues ou des décisions provisoires abusives ou encore des négligences.
Malheureusement, c’est une espèce d’épée de Damoclès que l’on fait peser sur la tête d’un juge. J’entends l’argument contraire qui consiste à dire que cela fragiliserait les magistrats, mais je ne vois pas pourquoi les policiers, les militaires en opération, les médecins ou les avocats dans l’exercice de la défense seraient soumis à une responsabilité personnelle et que les magistrats y échapperaient. Je pense que cette confiance peut être restaurée par la responsabilité.
D’ailleurs, je crois que Philippe Bilger était d’accord sur cette idée.
Le débat de cette réforme intervient quelques jours après la manifestation des policiers. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, disait que les policiers avaient un droit de regard sur la Justice. Est-on dans un « pétage de plomb général » ?
Vous avez raison. Je ne pense pas que l’émotion doit nous amener à perdre la raison. On peut légitimement déplorer le laxisme judiciaire sans pour autant sombrer dans la démagogie. Il est sain qu’il y ait une séparation des pouvoirs et que les policiers ne soient pas amenés à juger. On serait, à ce moment-là, dans l’arbitraire le plus total. Je n’incrimine pas les policiers, mais chacun à son rôle.
Je crois que le problème est plutôt la politique pénale menée par les parquets. Les magistrats ne sont pas tenus par les réquisitoires des procureurs de la République. Un magistrat du siège peut tout à fait rendre une décision différente de celle du parquet. Cela donne quand même une orientation générale. Énormément de plaintes sont classées sans suite et sommeillent dans les tiroirs des juges d’instruction ou des procureurs de la République sans qu’il y ait d’avancée significative. C’est une volonté politique. On sait très bien que, dans certains départements comme dans le 93 ou le 95, si on voulait mettre un gros coup de pied dans la fourmilière de trafic de stupéfiants ou contre le banditisme, on pourrait le faire, mais cela occasionnerait de la casse, peut-être des émeutes et peut-être des morts.
Personnellement, la réponse à tout cela n’est pas une énième loi. Je pense que l’on dispose en l’état d’un arsenal judiciaire suffisant pour pouvoir réprimer les incivilités quotidiennes que subissent les Français sans que l’on fasse une démagogie supplémentaire.
Le problème de la formation et l’état d’esprit des magistrats est aussi le problème de notre société.
La semaine dernière, je plaidais un dossier contre Nick Conrad pour une récidive d’une vidéo où il étranglait une femme blanche. Le ministère public a requis la relaxe.
Pour rappel, Nick Conrad avait appelé à pendre les bébés blancs et avait écopé d’une peine de 5.000 euros d’amende avec sursis. Il y a là un aspect idéologique. Les magistrats du siège ne sont pas simplement responsables, mais c’est aussi la politique des parquets. Dans certains cas de figure, on veut acheter la paix sociale et les discours sont contradictoires. M. Darmanin s’est rendu à la manifestation des policiers alors que les policiers ne peuvent même plus se défendre dans leur commissariat. Il n’y a pas besoin de faire de loi pour cela.
Lorsque les policiers sont en état de légitime défense, ils devraient pouvoir riposter. Simplement, on ne veut pas. Par conséquent, on arrive à des situations totalement ahurissantes. Pour autant, il ne faut pas donner davantage de pouvoir aux policiers pour qu’ils s’ingèrent dans les affaires de la Justice. Il faut simplement leur donner le droit de pouvoir répondre.
Autant j’ai du respect pour les policiers dans les affaires de stupéfiants, d’antiterrorisme, autant je m’insurge contre le détournement des policiers dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre pour défendre un pouvoir. Lorsqu’il s’agit de défendre l’État, on est tout à fait capable de donner extrêmement de pouvoir aux policiers en leur donnant la possibilité de lancer des grenades sur de pauvres citoyens français. Lorsqu’on veut, on peut.
La communication et le débat politicien ne remplaceront jamais le courage.
Évidemment. C’est une politique de courage et cela est vrai dans tous les domaines. Il faut avoir le courage d’assumer et d’aller jusqu’au bout. Il y aura peut-être de la casse. Veut-on mettre la poussière sous le tapis en croyant pouvoir, à court terme, éteindre l’incendie ? On sait bien que les émeutes de 2005 seront pire demain si on ne réagit pas maintenant. Ce n’est pas une question de loi mais de volonté politique.
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