Maintenant, même à la campagne, il faut donc faire comme en ville !

rue des tilleuls

Je suis un homme ordinaire, un tantinet traditionnel, un peu blasé et terriblement habitudinaire. Comme tout le monde, j'aspire à ce moment de repos, appelé abusivement vacances, où l'on se soumet à sa femme et à la nature qui imposent, l'une et l'autre, leurs charmes et leurs caprices . Là où j'ai élu ma thébaïde règne en maître le calme d'un paysage modestement façonné par l'homme. C'est comme ça depuis des années et rien ne vient bousculer l'ordre immuable des choses.

Pourtant, cet été, en m'y rendant, j'eus l'impression que la ville que je quittais s'accrochait à mes basques, je n'arrivai pas à effacer sa présence pesante et envahissante. Et pour cause : dans tous les villages traversés se signalaient des plaques de rue, façon urbaine, pour baptiser le moindre chemin vicinal. Les noms de ces voies relevaient d'un naturalisme naïf et convenu : rue des Tilleuls, chemin des Jonquilles, rue du Moulin, impasse de la Source, autant de désignations inutiles puisque pratiquées oralement depuis des lustres sans gêner les préposés de la poste qui n'en demandaient pas tant. Dans les campagnes françaises où tout le monde se connaît, on ne s'égare jamais. En plus, des numéros improbables (à quatre chiffres parfois) désignaient chaque maison, y compris la plus isolée des fermes.

En arrivant dans le modeste village, de 250 électeurs, dont je me sens, après 25 ans de résidence secondaire, un peu citoyen, force me fut de constater qu'il n'échappait pas, lui aussi, à cette insidieuse transformation. Le changement était donc général, concomitant sur toute la France et mis en œuvre dans le silence assourdissant des médias. Le docteur Google aussitôt consulté me confirma que la chambre introuvable du premier quinquennat du Président Macron avait, dans la plus grande indifférence, voté, le 8 février 2022, une loi, dite 3DS pour différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification (sic). Chaque commune devait « alimenter une base nationale d'adresses standardisées ». Cet impératif catégorique, sinon technocratique, l'administration des postes le souhaitait, quelques maires le demandaient et certains médecins ruraux voire des pompiers l'exigeaient. Lors des débats préliminaires au vote, certains se sont plus, en effet, à évoquer ces pompiers venus en renfort d'un département voisin et qui se seraient égarés en chemin. Les déboires des pompiers, c'est bien connu, sont plus fréquents que ceux des livreurs d'une multinationale spécialisée dans la vente par correspondance (sic).

Avec cette manie de tout répertorier, de tout marquer, de tout classer, le législateur oublie que le champ de la liberté est avant tout celui de l'incertitude, cette incertitude que connaît le randonneur s'engageant dans un chemin buissonnier dont il ignore l'issue, cette incertitude de l'agriculteur devant les aléas climatiques ou celle de l'éleveur devant les promesses de naissances de son cheptel... Nos campagnes nous ont toujours réservé ce clin d’œil de l'imprévu et de l'inattendu. Elles nous lançaient par là un défi que l'homme, bon joueur, se plaisait à relever. Le charme est aujourd'hui rompu ! À quand le balisage intempestif des allées cavalières ou des chemins creux !

Le maire de ma commune, rencontré un jour au pied de son tracteur, devait me confirmer le grotesque de la situation : cette décision, « imposée » par le préfet et qu'il convenait d'appliquer sans délai, entraînait la confection des plaques et leur pose à la charge, pour 80 %, de la commune, ce qui était tout de même un comble pour une opération qu'elle n'avait ni budgétée ni même souhaitée.

Jean-Paul Charbonneau
Jean-Paul Charbonneau
Historien, conférencier. castellologue, écrivain, diplômé de Sciences-Po, Assas-Panthéon, master d'histoire à l'Université de La Rochelle

Vos commentaires

45 commentaires

  1. Bonjour Contre ces gabegies technocratiques qui alimentent l’épaisseur du mille feuilles Europeo et Franco français la seule solution consiste à mettre l’état à la diète et l’Europe au régime amaigrissant

    • OUI mais pour cela il faut savoir bien voter lors des élections qu’elles soient Présidentielles, législative ou locales. Avez-vous vu la nouvelle mafia législative prendre ce problème à bras le corps NON il ne faut pas faire de vagues, rester dans le politiquement correct et rester à la maison le plus souvent possible. La paye tombe quand même et les augmentations régulières aussi.

  2. Cette évolution n’est pas dramatique, il y a bien pire. Dans mon village, il y a chaque jour un postier différent, qui ne connait pas nos adresses et met entre deux et trois heures de plus pour la distribution du courrier, ce changement est donc nécessaire. Le scandale c’est qu’il soit à la charge d’une petite commune, quand le département ne change plus les plaques de direction des villages sur les routes , dont certaines sont EFFACEES, et ne répare plus les routes ! Tout occupé à prendre en charge les « mineurs isolés » qui coûtent 50 000 euros par personne et par an !!!

    • Tout à fait d’accord avec vous. On appelle cela le progrès utile. J’ai 77 ans (oui, je reçois encore Tintin!), pourtant je trouve que les nostalgiques de « l’à peu près » doivent faire des concessions à ceux qui nous facilitent la vie (employés des services publics, livreurs, agents recenseurs,…).

  3. Cher monsieur,

    Je partage votre avis. J’ajoute donc une anecdote. Je suis un rural et j’ai été surpris de trouver un jour un numéro fixé sur ma maison alors que je suis le seul propriétaire au bout d’un chemin (privé) sans autre issue.
    Mais le maire de ma commune n’a pas eu la même réaction que le vôtre. Bien qu’il soit agriculteur, et comme moi issu de la commune, il trouve qu’il faut faire « comme en ville ». Par exemple il m’a dit « il faut accroître l’offre culturelle », ce qui est une formulation pédante bien peu paysanne. Je pense que les désastres culturels après 50 ans de propagande de gauche sont profonds. Et ce détail sans grande importance révèle une volonté grave: on veut tout uniformiser et détruire les particularismes locaux qui sont la richesse des ruraux.
    Vive la campagne et surtout vive la France.

  4. Comme ces choses sont bien dites.
    Dans ma commune de 5500 habitants, un banc et des panneaux dans les écoles primaires ont été peint aux couleurs LGBT…. pour « conduire à des amitiés plus inclusives »
    La bêtise est comme l’eau, il est difficile de l’arrêter.

  5. Je ne partage pas l’analyse de M Charbonneau. Je suis né et habite toujours dans un village qui est passé de 400 à 1500 habitants. Initialement, tout le monde connaissait tout le monde, il y avait très peu de déménagements. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les déménagements et amanagements sont nombreux tous les ans. Si vous demandez où réside une personne sans donner son adresse vous avez peu de chance d’avoir une réponse.

  6. J’habite un petit village dans le Pays BASQUE. C’est une route, quand ce pauvre officier de gendarmerie ARNAUD BELTRAM donna sa vie en échange d’un otage, je demandais à Mr. Le Maire si nous ne pouvions pas donner ce nom significatif au courage de cet homme. Pas de réponse, je m’interroge encore.

  7. Nos politiciens et hauts fonctionnaires sont talentueux, ils foisonnent d’idées aux applications parfaitement inutiles mais forts couteuses. Tant que le peuple en général est passif, apathique, diverti par le consumérisme ou la haine des plus vulnérables, les puissants pourront faire ce qu’ils veulent.

  8. Sans parler des ronds points . La moindre bourgade du plateau ardechois possède son rond point , symbole de la modernité à la française. Dans le pire des cas on le trouvera décoré d’une fresque ridicule ou d’un monticule de fierté. Juste à côté la rivière laquelle il y a seulement 20 ans de par sa puissance charriait des roches et qui aujourd’hui s’est transformée en gouttière. En revanche le bobo lyonnais possède bien sa piscine, luxe jusqu’ici inconnu dans ces contrées.

  9. On renumérote, on veut du détail et pourtant, alors que fut un temps avec une carte Michelin, on trouvait facilement sa route, aujourd’hui il devient presque impossible de se guider tant les rond-points ont cassé la continuité des routes qui changent de nom en permanence et sans compter la somme des déviations.

  10. Ben ça peut être pratique pour Jupiter qui veut loger les migrants à la campagne .S’ils ne prennent pas la poudre d’escampette il saura ou les trouver .Quand à la facture , perso en tant que maire , je l’aurai aussi envoyer à Jupiter qui ponctionne déjà suffisamment les communes et donc nous les contribuables .

    • C’était pourtant agréable les maisons avec un nom, »villa des fougères », »l’horizon » etc etc et ça voulait dire quelque chose.

  11. Oh comme vous avez raison, Monsieur CHARBONNEAU…! Je rajouterai à votre excellent texte les ennuis, pour ne pas dire les emm… occasionnés par cette numérotation, lors du passage à la fibre optique…:
    – Notre nouveau N° 18 est inconnu des opérateurs (Orange, Free, etc.), de même que notre ancien « Lieu-Dit »…
    – Par contre notre maison porte le N° 101 sur la carte de l’ARCEP, N° qui ne correspond à rien, qui n’existe pas mais qui nous a bloqué pendant presque un an pour être relié à la fibre qui passe pourtant à moins de 5 m de notre maison.
    Tout ce cirque a impliqué un appel téléphonique avec l’opérateur par semaine, pour à la fin se faire répondre que « d’après la carte votre maison est un champ »…!
    Encore « Merci » pour votre texte… et bon courage à tous…!

  12. Je vous confirme votre impression.
    J’habite un village de 1000 âmes depuis 40 ans et j’ai vu cette inévitable évolution.
    Il est désormais interdit de bruler ses déchets verts même quand ils sont secs.
    Le glyphosate étant interdit, les trottoirs gravillonnés deviennent bitumés.
    Depuis quelques années, nous avons notre « panneau d’affichage dynamique » qui ne diffuse guère que la température du jour et la météo du lendemain..
    Si on est sage, on peut avoir des poules qu’on doit cacher à cause de la grippe aviaire.
    La bureaucratie s’adapte à tous les milieux, y compris la campagne profonde…

  13. Encore un « coup de gueule » d’un bobo-écolo qui s’offusque d’une plaque de rue mais qui ne dénonce pas les projets de macron au sujet de la répartition équitable dans les campagnes de ceux qu’il appelle « chances pour la france » …
    Il est grand temps que les priorités soient « prises en main » par les vrais gens … « ceux qui roulent au diesel et qui triment toute leur vie » ! …

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