Livre : L’Uniformisation du monde, de Stefan Zweig
Publié en 1925 et réédité en ce mois de janvier 2021, L’Uniformisation du monde claque comme un boulet de canon. On savait que Zweig était un romancier de génie et un formidable dissecteur de l’époque moderne, mais cet article paru dans le Berliner Börsen-Courier fige et croque impitoyablement le sinistre vaudeville que le monde occidental vit depuis plusieurs semaines. Uniformisation, ultra consommation, Zweig a vu avec effroi la colonisation intellectuelle et culturelle de l’Europe par les États-Unis. Et ce qu’il a vu l’a effrayé bien davantage que la montée des nationalismes européens. « Nous nous berçons encore d’illusions quant aux objectifs philanthropiques et économiques de l’Amérique. En réalité, nous devenons les colonies de sa vie, de son mode de vie, les esclaves d’une idée qui nous est, à nous Européens, profondément étrangère : la mécanisation de l’existence. »
Dans ce minuscule recueil, Zweig apporte enfin une réponse à cette peur ancienne, larvée, masquée par les démons grimaçants que furent nazis et bolcheviques mais qui, comme un antique cauchemar, revient. L’épisode sanglant de la Seconde Guerre mondiale n’était qu’une parenthèse à un complot plus pernicieux : l'uniformisation, l’ennui et l’avènement de ce « monstrueux mouvement mondial ».
Prêt-à-porter, prêt-à-consommer, prêt-à-penser. La frénésie américaine s’est emparée de l’Occident au point que ce dernier en a accepté tout les codes jusqu’à laisser sa propre démocratie être mise à mal par les GAFAM. Tout jusqu’à l’ennui a été américanisé. « L’ennui américain. Cet ennui horrible, très spécifique qui se dégage là-bas, cet ennui qui n’est pas comme jadis l’ennui européen, celui du repos, celui qui consiste à s’asseoir sur un banc de taverne à jouer au domino et à fumer la pipe soit une perte de temps paresseuse mais inoffensive : l’ennui américai, lui, est instable, nerveux et agressif. On s’y surmène dans une excitation fiévreuse et on cherche à s’étourdir dans le sport et les sensations. L’ennui n’a plus rien de ludique mais court avec une obsession enragée dans une fuite perpétuelle du temps. »
Paradoxalement, Trump incarne cette frénésie américaine tout en freinant sans doute, malgré lui, l’américanisation triomphante. Avec son « America Great Again », il a ralenti le processus en donnant à l’esprit européen un sursis de quatre ans. Et c’est au fond cela que ni les élites américaines ni les élites européennes déracinées ne lui ont pas pardonné.
Dans ce texte figure une forme de testament spirituel du génial Autrichien à destination de ceux qui n’ont pas connu la parenthèse meurtrière de la Seconde Guerre mondiale mais qui sont confrontés à cet hydre aux mille têtes mais à un seul visage : l’uniformisation.
Si vous ne devez lire qu’un seul livre, cette année, c’est celui-ci.
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