Les bonnes ordonnances du regretté Dr. John

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Avec le départ, à 77 ans, vers d’autres cieux, de Dr. John - Malcolm John Rebennack, à l’état civil -, c’est une voix singulière qui s’en va dans un autre ailleurs. En effet, si le bon docteur n’a jamais véritablement eu la reconnaissance du grand public – celui de Madonna, Rihanna et autres volatiles de concours –, au moins avait-il celle de ses pairs, caresseurs de claviers de piano ou de manches de guitare et autres amateurs de bonne musique, car enracinés quelque part.

L’impressionnant pedigree du défunt en témoigne, d’ailleurs, mieux que tous les hommages posthumes : il a joué avec les Rolling Stones, Eric Clapton, Bob Dylan, Frank Zappa, B.B. King, Stephen Stills ; et encore en oublie-t-on. De tous ses contemporains américains, il a, de plus, cette spécificité consistant à avoir l’âme très française, ayant vu le jour à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane ; là où l’on est volontiers plus catholique que protestant, où l’on parle plus un français mâtiné de créole que la langue de George Washington et où, finalement, si l’on est blanc de peau, on est plus noir que les WASP bostoniens. Bref, Malcolm John Rebennack était, à son inimitable manière, un représentant de « l’Ancien Monde »…

Dans nos chères Antilles françaises – celles qui ont si bien voté lors des dernières élections européennes, au contraire des banlieues huppées et à problèmes existentiels des Hauts-de-Seine –, on appelle ça un « chabin » : blanc à l’extérieur, noir à l’intérieur. D’où l’amour de Dr. John, jamais démenti pour le zydeco, ce blues du bayou joué à l’accordéon et immortalisé par son compère Clifton Chenier.

Déjà, « Chenier », rien que ce nom qui fleure bon l’odeur de nos terroirs… Des noms aussi français que ceux de l’immense clarinettiste Sidney Bechet ou des redoutables producteurs Allen Toussaint et Ivan Neville – notre Eddy Mitchell national ne s’y trompe pas quand il fait appel à leurs services. Car il y a une ambiance toute particulière, là-bas. Beaucoup de soutane, mais autant de vaudou, l’ancestrale religion des esclaves noirs. Mais, surtout, une musique à nulle autre comparable, avec un swing qu’on ne retrouve pas ailleurs, une certaine nonchalance, aussi.

Car la vie de Malcolm John Rebennack est un roman, également. Beaucoup de femmes et de drogues ; et un peu de prison, pour voie de faits. Et des costumes de scène flamboyants, tant qu’à faire. C’est simple : à sa grande époque, Elton John ressemble à un quaker en train de faire la quête pour l’Armée du salut. Dr. John se fait alors appeler le « Night Tripper » et ne sort jamais sans un impressionnant arsenal de gris-gris devant peser le poids d’un âne mort et à peu près autant de plumes que Joséphine Baker, sa presque compatriote.

Mais peu importe le décorum, il y a la musique avant tout. Des chansons écrites sous on ne sait quelle force venue d’en haut, « Such a Night » ou « Right Place Wrong Time », par exemple, qui aurait poussé le plus puritain des imams saoudiens à danser la samba avec un slip en lieu de turban.

Plus sérieusement, quand, en 2005, sa ville natale est ravagée par l’ouragan Katrina, il prend son bâton de pèlerin pour enregistrer un des plus beaux albums qui soient : City That Care Forgot, destiné à venir au secours des oubliés de l’Amérique de George W. Bush. Le duc de Clapton, qui doit tant à l’homme et à sa musique, répond présent. Évidemment.

Figure fantasque, le défunt Dr. John nous rappelle aussi le temps où la musique ne se limitait pas seulement à une industrie. Mais surtout à une offrande, envers ceux qui l’écoutaient, ceux qui l’écouteront encore. Mais principalement à ce monde l’ayant façonné, cette France du lointain qu’on oublie trop souvent : la Louisiane, si belle province portant le nom de nos vieux rois.

Quelques morceaux sympas : Ici, là, ou encore .

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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