Lecture décrétée « cause nationale » ? On va lire du Flaubert en tweets dans les écoles !
Sachant qu’aujourd’hui, tout a peu ou prou vocation à être déclaré « cause nationale » : des violences faites aux femmes à l’emploi des jeunes, de la transition écologique à la lutte contre le cancer du genou, sans oublier la préservation des espèces en voie de disparition (hamster à col vert, bête à deux dos et militant socialiste), il était donc logique que la lecture soit, à son tour, décrétée « cause nationale ». Ce que fit Emmanuel Macron, ce 17 juin.
Comme ses désirs sont des ordres, le Centre national du livre vient de prendre les mesures qui s’imposent. Ainsi, pour son actuelle présidente, Régine Hatchondo, il est scandaleux que « 20 % des Français [soient] encore à quinze minutes à pied ou vingt minutes en voiture d’une médiathèque ». Nonobstant, on remarquera qu’un quart d’heure de marche n’a jamais tué personne et que celui qui met seulement cinq minutes de plus pour parcourir le même chemin en voiture doit « vraiment » respecter les limitations de vitesse.
Au fait, qui est Régine Hatchondo ? Le Monde du 19 novembre 2020 nous en dit plus : « C’est le jeu classique des chaises musicales pour l’obtention des postes fort convoités dans le monde la culture. […] Par décret du mercredi 18 novembre, Régine Hatchondo, candidate malheureuse à la présidence d’Arte, est nommée à la tête du CNL, établissement public de soutien à l’édition installé dans un superbe hôtel particulier du XVIIIe siècle, l’hôtel d’Avejean, rue de Verneuil, dans le VIIe arrondissement de Paris. Doté d’un budget annuel de près de 24 millions d’euros, il a pour mission de soutenir, grâce à différents dispositifs et commissions, tous les acteurs de la chaîne du livre, aussi bien les auteurs que les éditeurs, les libraires, les traducteurs, les bibliothécaires que les organisateurs de manifestations littéraires. »
Et d’obéir en ces termes à l’injonction présidentielle : « Nous allons déployer 250 résidences d’écriture, dont une centaine en milieu scolaire et 50 dans les colonies apprenantes et les centres de loisirs. » L’histoire ne dit pas ce que sont ces « colonies apprenantes », pauvres de nous qui en sommes restés aux « Jolies Colonies de vacances » de Pierre Perret qui, lui, n’avait besoin de personne pour honorer la langue de Molière et Audiard.
En revanche, plus précise est cette autre initiative du CNL, annoncée par Le Monde du 24 novembre : « Dans le cadre de la célébration du bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert, devant les élèves d’une classe de première professionnelle du lycée polyvalent Simone-Veil (Paris IIIe), une lecture d’extraits de Madame Bovary en tweets. » Même Nicole Vulser, auteur de cet article, demeure perplexe : « Rien ne dit qu’un tweet suffise […] à dévoiler la quintessence du style flaubertien, entre les orageuses liaisons avec de fats et vulgaires amants qu’Emma Bovary a cachées à son mari. » Pas faux…
En attendant, quel est l’état de la situation, en France ? Pas si mauvais que ça, les ventes de livres ayant récemment progressé de 22 % - confinement oblige. Quant au Pass culture de Roselyne Bachelot, ministre en titre, et concernant 825.000 jeunes, il aura au moins eu pour mérite de faire exploser la consommation de mangas, sachant que mieux vaut lire ces derniers que de ne rien lire du tout.
Pour le reste, l’angle mort demeure le poids de l’immigration en cette équation. Car si la Seine-Saint-Denis demeure le département le plus touché en matière de violences faites aux femmes, il n’est pas forcément évident qu’il puisse être en première place sur le podium en matière de boulimie livresque.
D’où cet assez triste portrait de la France se dessinant sous nos yeux. À la base de la pyramide sociale, un prolétariat immigré alors qu’en son sommet, c’est le pronom « iel » et l’écriture globale et inclusive qu’on nous impose. Entre les deux, le peuple des anonymes, cette France invisible qui commence à en avoir assez d’être prise en tenaille, entre racailles des beaux et des bas quartiers.
Voilà qui, pour une fois, est peut-être une véritable « cause nationale ».
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