Le roman inédit de l’été : Derrière le mur (55)
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Cet été, Boulevard Voltaire vous propose une fiction inédite, jamais publiée auparavant. Embarquez avec Fadi, Sybille, Jean et Tarek dans un pays qui n’existe plus.
Il devait mourir non pour ce qu’il était ni pour ce qu’il avait fait. Il devait mourir pour ce qu’il représentait ou, du moins, pour être celui que s’imaginait la Maddahith. Pour la première fois de sa courte existence, il était en paix. Davantage, même, que ce soir où il avait pris Sibylle, ce soir qui lui semblait si loin. Aujourd’hui, il allait embrasser la mort.
Les pas dans le couloir se rapprochaient. La lettre de Jean était toujours posée sur la table. Il ne l’ouvrirait pas. L’enveloppe ne serait pas décachetée, il n’avait plus rien à attendre de Jean. Les morts ne parlent pas, les morts n’existent plus. Et puis, si Dieu existe, alors Jean devait pouvoir jouir de l’éternité sans se soucier des pitoyables angoisses de l’humanité.
Il n’y avait rien de plus à savoir. Peu lui importait que la lettre comportât regrets, encouragements ou fierté, il n’en avait pas besoin ; la seule conclusion que méritait cette aventure, il l’écrirait lui-même dans quelques instants.
Ce n’était pas Jean qui l’avait guidé ici, ce n’était pas ses conversations qui le menaient à la mort mais ses propres choix. On allait le tuer pour avoir voulu vivre un peu plus. Ils voulaient extraire le sang corrompu.
Il le savait et s’en moquait. Dans le sombre recoin de sa cellule, il avait en quelques mois vécu davantage que tout ce qu’il aurait pu espérer de sa vie. Par la force de sa seule volonté, il avait défié et vaincu ce qu’il avait toujours subi. Il n’avait pas l’impression d’avoir lutté pour une cause ni d’avoir fait don de sa vie à quoi ou qui que ce soit. Il était né et avait vécu pleinement sa vie. Elle s’arrêtait ce soir et il ne regrettait rien.
Il aurait pu s’enfuir avec Sibylle, il avait choisi de sauver Vassili. Ce qu’il avait perdu en bonheur, il se l’était remboursé en honneur. Il se payerait même le luxe de quitter la scène en guerrier.
Attendant que l’on vienne le chercher, il se demandait ce que fabriquait Tarek.
Un cliquetis se fit entendre, Jamal entra à nouveau dans la cellule. Le jeune homme sentit qu’il essayait d’éviter son regard.
Il voyait venir Jamal, sa carcasse massive, puissante, qu’il trimbalait habituellement avec souplesse mais qui, aujourd'hui, semblait maladroite ; comme hésitante. Il ne dit pas un mot mais il remarqua que ses lèvres et tout son corps tremblaient imperceptiblement. Une paire de menottes à la main, il les mit à celles de Fadi avec une rudesse mal maîtrisée, excessive, comme s'il ne se contrôlait plus. Il fallait néanmoins qu'il joue son rôle jusqu'à la tombée de rideau qui approchait. Fadi tentait de se tenir droit, y mettant tout son courage. Il s'interdisait de trembler. Ce n'était pas le moment.
Dans quelques minutes, il serait libre. Il s’y accrochait avec l'obstination d'un naufragé agrippé à une épave. Il sortit le premier, la main de Jamal posée sur son dos. Il retenait un frisson de dégoût. Elle était moite et poissait sa chemise. Le couloir était long et leurs pas résonnaient sur le béton froid. Ils débouchèrent enfin dans la cour. Elle était vide, seule une poignée de moudjahidines et un petit homme à djellaba grise qui l'observait intensément étaient présents. Fadi frissonna en le voyant. Il émanait de lui une absence totale d'humanité. Ses yeux clairs étaient dangereusement inexpressifs. Jamal le fit stopper.
Debout, au milieu de la cour, il faisait face aux soldats. Légèrement en retrait, il aperçut Ahmed qui l'observait. Dans les yeux de son ancien ami, il lut une haine qui le rassura. Il le considérait comme un ennemi. C'était une bonne chose.
Il laissa son regard errer sur chacun des moudjahidines présents. Il les connaissait tous, au moins de vue. Ils avaient fréquenté les mêmes écoles et les mêmes mosquées. C'était l'escouade de Tarek, ceux avec qui il se battait depuis des mois. Ceux qu'il avait trahis. Pourtant, il ne vit aucune trace de son frère dans le groupe. Aurait-il flanché au dernier moment ? Ses sentiments l'auraient-ils dominé ? Il en était presque déçu.
Il sentit des pas derrière lui. Une brusque secousse le fit agenouiller. Sans qu'il puisse se retourner, il sut qui c'était. Il connaissait trop bien cette poigne, rude et fraternelle, pour l'avoir subi dans ses jeux d'enfants et son adolescence. Il regardait droit devant lui, tout en espérant que Tarek se dépêche, ses genoux commençaient à trembler sur les graviers de la cour. Le contact froid du canon de pistolet contre sa nuque le fit tressaillir. Il lutta contre le réflexe de fermer les yeux. Il voulait les garder grand ouverts. Derrière lui, une voix puissante hurla Allahou akhbar et le coup partit.
La fosse s’ouvrit sous ses pieds, il ne savait plus si elle s’approchait ou si c’était lui qui y plongeait. Enfin, Fadi s’envola au plus haut des abîmes.
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