Le livre de l’été : La Reconquête (21)

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L’Élysée avait annoncé que la traditionnelle rencontre avec le chancelier allemand était reportée, Maréchal avait choisi de rencontrer en premier lieu Matteo Salvini pour montrer à l’Europe que la France allait lancer une nouvelle ère dans la construction européenne. Salvini était devenu président du Conseil des ministres en Italie après une série de victoires électorales éclatantes. Il avait tenu son programme et les Italiens voyaient enfin les fruits de son travail, le tout sur fond de baisse drastique du nombre de migrants, assainissement des finances publiques, investissements industriels…

Elle avait ensuite pris date avec les gouvernements hongrois et polonais, puis elle irait rencontrer le président russe, avant de rencontrer son homologue allemand. Le signal envoyé par la France était fort : rencontrer les pays les plus éloignés de la vision portée par Bruxelles et les États-Unis, avant même de rencontrer l’allié outre-Rhin, était historique. Les grands médias des pays européens évoquaient tous le choix de la jeune présidente et l’idée que la France devienne chef de file d’un groupe de pays porteurs d’une nouvelle vision de l’Europe parcourut le continent.

Les rendez-vous entre Maréchal et les différents chefs de gouvernement européens se passèrent encore mieux que ne l’avaient pensé ses conseillers, elle fut accueillie à chaque fois en grande pompe et les échanges, cordiaux, avaient mis en valeur les attentes d’un certain nombre de pays qui voulaient voir l’Europe se réformer en profondeur. La Pologne redoutait, en revanche, que la France et l’ours russe renouent contact, ils mirent en garde Maréchal concernant l’incompatibilité entre leur soutien à la nouvelle politique de la France et le retour de la Russie dans le jeu des négociations européennes. Elle refusa pour autant de répondre favorablement sur ce point, expliquant que non seulement la France et l’Europe avaient besoin de la Russie pour peser dans le jeu mondial, mais qu’en plus, sur le plan commercial, elle demeurait un partenaire clé. Il ne fallait pas qu’elle se tourne vers l’Asie, sans quoi les Européens perdaient un fournisseur mais aussi un marché de 120 millions de clients potentiels pour leurs produits et services. Elle leur annonça donc que, s’il était évidemment hors de question d’intégrer la Russie à l’Union européenne, il fallait à tout prix élargir les partenariats et développer des relations commerciales privilégiées. Les Polonais se contentèrent de réitérer leurs menaces mais elle vit à leur ton qu’elle avait réussi à les rassurer : la Russie n’aurait pas de place sérieuse sur le plan politique et diplomatique au sein de l’Union européenne.

Quand Marion prit l’avion pour se rendre à Moscou, elle prit pour la première fois conscience de l’importance de sa mission en tant que représentante de son pays aux yeux du monde extérieur. Elle était allée à Budapest et à Cracovie en se sachant en terrain conquis. Elle arrivait au Kremlin avec moins de certitudes : Poutine était un négociateur hors pair, aux dires d’Aymeric Chauprade, qui l’accompagnait en tant que conseiller spécial. Et il ne tergiversait pas avec les intérêts de son pays, quitte à écraser ses interlocuteurs. Poutine était devenu une sorte de président d’honneur qui représentait la Russie auprès de tous les dirigeants du monde, il se définissait avec humour comme grand ambassadeur de la Russie éternelle.

Elle fut accueillie par une foule nombreuse, un véritable défilé militaire eut lieu durant trente minutes à son arrivée. Poutine lui serra la main fermement avec un grand sourire qui ne rendit pas son regard moins glacé. Elle serra ensuite la main de Medvedev, poulain de Poutine.

Une heure plus tard, elle discutait en privé avec le président russe et Poutine.

– Vous savez, j’admire énormément votre parcours. Vladimir Poutine parlait calmement, son traducteur était d’une efficacité stupéfiante, parlant presque en même temps que lui. Je crois que nous avons beaucoup de choses en commun. J’ai travaillé pendant trois décennies à la reconstruction de la Russie avec plusieurs grands chantiers parmi lesquels celui de notre identité que nous devions reconstruire pour que le peuple russe reprenne confiance en lui et soit fier de son pays. Nous avons également soutenu prioritairement une politique familiale volontariste pour que notre démographie reprenne le chemin du renouvellement de population. Nous avons ensuite travaillé sur l’économie et l’influence géopolitique pour que la Russie rayonne à nouveau dans le monde. Je suppose que vous allez suivre la même voie et que c’est sur ce dernier point que vous souhaitez que nous échangions.

Marion choisit de lui répondre sans détour, elle savait qu’il détestait que ses interlocuteurs ne soient pas directs.

– C’est exact, si je suis là, c’est pour que la France reprenne sa place de première puissance européenne et de grande puissance mondiale. Nous avons une Histoire commune, nous avons été proches autrefois, j’aimerais restaurer cette proximité. Nous avons aussi des ennemis communs : les pays du Moyen-Orient qui cherchent à tout prix à déstabiliser l’Europe et, avec elle, la Russie. Ces pays doivent être surveillés et nous devons leur faire prendre conscience que leur jeu a assez duré. Nous avons enfin un objectif partagé : contrebalancer les puissances américaine, chinoise et indienne, sans quoi ils se partageront le monde. Seule, la Russie ne résistera pas longtemps ; sans la Russie, l’Europe sera balayée elle aussi. Notre devoir, c’est d’éviter ce scenario.

Medvedev prit la parole.

– Et qu’attendez-vous de la Russie, Madame ?

– Un accord de libre-échange poussé qui nous ouvre votre marché de consommateurs et qui vous ouvre le nôtre pour tous les produits et services que nous ne pouvons pas nous fournir respectivement.

– Pour la France ou pour l’Europe ?

– Pour la France, l’Italie, la Pologne, la Hongrie, l’Autriche. Je voudrais que vous annonciez que seuls ces pays bénéficient de l’accord en question parce qu’ils sont dans la ligne politique portée et défendue par la France. Cela poussera les pays de l’Est à changer leur regard sur la Russie et cela incitera à rallier d’autres pays à notre cause.

Poutine sourit, elle comprit qu’il avait compris.

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