On vit décidément une époque fantastique. Pour rien au monde je n’échangerais la période que nous vivons contre ces décennies ennuyeuses au tournant du siècle, où tout était fade et convenu, la seule excitation populaire consistant à spéculer sur la fin du monde. La vie était d’un conformisme à mourir et le passage à l’euro nous berçait dans l’illusion que politiques et économistes œuvraient pour le bien commun.

Samedi dernier, j’assistais à la dernière messe célébrée en la basilique Notre-Dame la Daurade, à Toulouse, et le brave prêtre, tout en essayant de faire respecter maladroitement les distances entre fidèles, adaptait son homélie à l’actualité : « [...] et surtout ne croyez pas ces prophètes de malheur qui vous disent que Dieu a créé ce virus pour punir les hommes de leur inconduite. » Certes, comme l’a écrit un fameux dominicain de Toulouse, « Dieu est sans idée du mal »*, mais voilà, Dieu a permis ce mal et il y a gros à parier qu’il en tirera un certain bien.

Nous sommes entrés en carême depuis le 26 février.

Le coronavirus, c’est le carême pour tous.

Un séisme de dimension planétaire dont nous ne soupçonnons pas encore les conséquences.

Qu’est-ce qu’un carême ? Un temps de conversion, au sens étymologique : tourner son regard vers l’essentiel. Or, cette situation hors normes et le confinement forcé nous obligent à changer notre regard sur le monde et sur nous-mêmes. Il ne s’agit pas ici de jouer le rôle facile de Cassandre ou de Savonarole, mais d’élever un peu le regard.

D’abord collectivement : l’Empire maastrichien, formule chère à Michel Onfray, s’effondre sous nos yeux. La mondialisation heureuse se révèle désastreuse. On s’aperçoit que les frontières et les relocalisations, ça a du bon. Jour après jour, notre jeune employé de banque et sa bande de copains se révèlent de plus en plus inconséquents. Les réformes hospitalières engagées par Hollande et poursuivies par Macron se révèlent mortifères. Un article récent de Régis de Castelnau montre que nos gouvernants pourraient légitimement faire l’objet d’une condamnation.

De son côté, Olivier Delamarche nous démontre par a + b que le pire est devant nous : c’est la crise de 2008 multiplié par 10 et il est urgent de stopper net le délire des financiers.

On est donc bien dans un moment favorable pour tout changer.

Mais c’est peut-être au niveau individuel que le révélateur est plus sensible.

On constate, en Chine, un double effet contradictoire depuis le relâchement du confinement : une augmentation prévisible de la natalité et des divorces. On peut imaginer que des créateurs de tout poil sortiront un scénario, un roman, une chanson populaire de ce huis clos improbable qui dépasse largement celui de Sartre.

En effet, dans ce repli intérieur forcé, pour éviter que l’enfer soit les autres ou l’autre, ou moi-même si je suis seul, il va falloir faire un sacré travail sur soi. Notre course infernale dans l’enthousiasme du consumérisme matérialiste est stoppée net.

En termes spirituels, on appelle ça une grâce de carême. Carême pour tous !

Après quelques jours voire semaines de connexions Internet et de gavage sur Netflix, les yeux et les cerveaux vont vite se fatiguer des écrans et on se retrouvera face au vide culturel et spirituel dans lequel le monde nouveau nous a maintenus. Nous sommes malgré nous forcés de retrouver une vie intérieure.

La bêtise politique et culturelle chronique de notre pays, enfoncée dans un clivage droite/gauche abêtissant, a reçu une première semonce avec les gilets jaunes. Une deuxième avec l’incendie hautement symbolique de Notre-Dame. Souhaitons que cette semonce virale nous débarrasse durablement de cette bêtise qui divise la France depuis 200 ans. Prions pour que notre regard change et sorte définitivement des guéguerres, des sectarismes de gauche et des grégarismes de droite, car le peuple n’en peut plus.

On peut rêver, non ?

* Jean-Miguel Garrigues, Dieu sans idée du mal, Desclée, 1990.

 

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20 mars 2020 à 10:01

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