La France n’a pas (beaucoup) de lits en réanimation, mais elle a des attestations !

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Ne dites pas que le Covid-19 nous empêche de voyager. En 48 heures, nous voilà revenus en Absurdistan, aux confins du Rondecuiristan. En 1976, on disait de la France qu’elle n’avait pas de pétrole mais qu’elle avait des idées. En 2022, on peut dire du pays de Raymond Devos et de Courteline qu'il n'a peut-être pas de vaccin ni de lits en réanimation, mais qu’il a des attestations et des interdictions. À foison.

L’attestation du confinement 3,aura eu un règne aussi éphémère que Louis XIX : samedi après-midi, le précieux document avait déjà abdiqué, sous les quolibets et les moqueries. Il est vrai qu’il lui fallait deux pages, quinze tirets à la ligne et presque autant d’astérisques pour stipuler que son porteur s’était auto-autorisé à sortir à l’horaire de son choix pour une durée illimitée. Il précisait que si l’animal de compagnie n’avait pas le droit de dépasser un rayon d’un kilomètre, son propriétaire, lui, pouvait pousser jusqu’à dix. En règle générale, c'est plutôt le chien qui dépasse le maître essoufflé et tire sur sa laisse, mais pourquoi pas. Seulement, une question se pose. En quoi, passé cette distance, le canidé est-il plus contagieux que l’homme ? Le mystère reste entier et, comme toutes les grandes énigmes de l’Histoire, du Masque de fer à la Bête du Gévaudan, a été emporté dans la tombe par son machiavélique instigateur feu le précieux papier. Reste une certitude, ce seront une nouvelle fois les familles qui seront interdites de fêter Pâques ensemble cette année : les grands-parents ne verront pas les tout-petits courir derrière les œufs dans le jardin, un mur de Berlin virtuel s’élevant désormais entre les régions au moins jusqu’à mi-avril.

Dans le même temps, la liste d’exonération des commerçants dispensés de fermeture s’est rallongée comme un inventaire à la Prévert : aux libraires et aux disquaires (parce qu’il paraît qu’il existe encore des disquaires… on a bien failli charger l’attestation sur Minitel) se sont rajoutés, vendredi, les coiffeurs, eux-mêmes rejoints par les fleuristes (par égard, sans doute, pour leurs stocks, pour Ronsard et pour Berthe Sylva), les cordonniers et les chocolatiers samedi, le bon sens, heureusement, ayant montré les crocs sur les réseaux sociaux et les plateaux télé : comment se débrouiller quand on est âgé, isolé, perclus de rhumatisme et d’arthrose, et donc incapable de faire seul son shampooing ? Quand les magasins de chaussures ont le rideau baissé et que vos semelles se décollent ? Quand le chiffre d’affaires se résume à deux périodes de l’année, Noël et Pâques ? Mais les quelques commerces éteints et clos n’en paraissent que plus brimés.

Et pendant ces laborieux arbitrages, comme en octobre, les grandes surfaces, résignées, empaquetaient leurs jouets et leur prêt-à-porter dans un périmètre de sécurité : achtung, verboten, interdit d’acheter et même de toucher. Le lapin et l’ours en peluche, souvent made in China il est vrai, seraient-ils, comme le pangolin, vecteurs de transmission ? Non, mes chéris, mais il n’y a pas de raison. Quand on persécute les uns, il faut aussi persécuter les autres, cela s’appelle l’esprit de justice.

Comment les forces de l’ordre pourront-elles réussir à faire respecter ces mesures fluctuantes et abstruses ? Nul ne le saura probablement jamais car déjà en sous-effectifs pour réprimer les émeutiers des quartiers - hier, c’était Verdun, aujourd’hui, Oyonnax, c’est fou comme on peut visiter la France et découvrir ses bourgades pittoresques au son et lumière des tirs de mortiers -, il est peu probable que les policiers mettent un zèle outrancier à s'exécuter.

En attendant, alors que l’on ergotait sur les bienfaits comparés de la fermeture des modistes et des parfumeurs, un individu, heureusement non armé, s’est introduit pendant la messe dans la désormais tristement fameuse basilique de Nice, proférant qu’il « [soutenait] ses cousins musulmans ».

Faut-il rappeler que le Covid-19 n’est pas le seul mal tragique dont souffre actuellement notre pays ?

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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