Jean-Pierre Jeunet : Paris devenu « trop moche » pour y tourner la suite d’Amélie Poulain !
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Jean-Pierre Jeunet, non content d’être l’un de nos meilleurs cinéastes, n’a pas non plus sa langue dans sa poche. Alors que la Cinémathèque de Los Angeles lui consacre une rétrospective amplement méritée, au magazine IndieWire qui lui demande si une suite au Fabuleux destin d’Amélie Poulain est envisagée, il répond évidemment que non. Tout d’abord parce que cela « coûterait trop cher », ensuite parce qu’un tel film, pour le moins « original », ne trouverait plus de producteur : « Aujourd’hui, tout le monde veut faire de l’argent sans prendre de risques. » Et puis, surtout, parce que « Paris est devenu tellement difficile à filmer. Il y a des travaux partout. Paris est trop moche, maintenant. »
Madame la mairesse de la capitale n’a, pour le moment, pas relevé. Tout comme elle n’avait pas directement répondu, se contentant de faire tweeter l’un de ses adjoints, à l’acteur Vincent Lindon qui, en mars dernier, la chahutait en ces termes : « J’ai l’impression qu’elle a parlé avec l’abbé Faria et qu’il lui a dit : “Anne, j’ai mis un trésor à Paris et tu as tout le temps que tu veux pour le trouver, mais il n’est pas près de l’eau.” Donc, elle a déjà fermé les quais. Elle creuse des trous depuis 17 ans, mais elle dit : “On n’a toujours pas trouvé l’or.” C’est fascinant. Tout est en travaux, il y en a partout. »
Paris et Jean-Pierre Jeunet, c’est aussi une vieille histoire d’amour parfois contrariée. Ainsi, en 2001, la vision qu’il a de la capitale dans Amélie Poulain fait déjà grincer quelques dents, tel qu’en témoigne la polémique engagée par Serge Kaganski, alors rédacteur en chef adjoint des Inrockuptibles, lequel voit en ce film une sorte de manifeste lepéniste. Pour commencer : « Le Paris de Jeunet regarde le peuple avec sympathie, certes, mais exclusivement le peuple montmarto-rétro-franco-franchouillard. Le Paris de Jeunet est soigneusement “nettoyé” de toute sa polysémie ethnique, sociale, sexuelle et culturelle. »
On objectera qu’un certain cinéma français actuel fait de même, mais à l’envers, en se focalisant sur les marges de la société plutôt que sur son cœur, mettant plus souvent en scène des étudiants en sociologie à la recherche de leur identité sexuelle que des tourneurs-fraiseurs à celle du bistro le plus proche. Passons. Et le même de conclure : « Je suis tenaillé par une hypothèse assez dérangeante, mais qui ne me paraît pas farfelue au vu des analyses qui précèdent : si le démagogue de La Trinité-sur-Mer cherchait un clip pour illustrer ses discours, promouvoir sa vision du peuple et son idée de la France, il me semble qu’Amélie Poulain serait le candidat idéal. »
À l’époque, l’auteur de ces lignes s’en entretient avec le principal intéressé. Lequel a adoré l’objet du délit, mais s’étonne, hilare, qu’on puisse y voir une quelconque forme de cinéma frontiste. Jean-Pierre Jeunet, lui, traite la chose avec humour, à l’occasion d’un fort beau livre, Le Fabuleux Album d’Amélie Poulain, publié la même année.
Là, dans une double page dont la maquette imite à la perfection celle de la Pravda soviétique, on peut lire ceci en une : « Sergueï Chianski. Le rédacteur en chef de la revue culturelle Niepodkoupni dénonce la poésie frelatée et faussement inoffensive, le formalisme décadent et réactionnaire du film Fantastitcheskaya soubda Ameliei Jerebenka. »
En attendant, et quitte à filer la métaphore lepéniste, on dira que Jean-Pierre Jeunet ne fait que dire tout haut ce que de plus en plus de Parisiens pensent de moins en moins bas, même s’il est désolant que ce poète ayant su créer un univers n’appartenant qu’à lui peine, maintenant, à trouver les financements nécessaires à la poursuite de son œuvre, fortuitement plus célébrée aux USA qu’en nos contrées.
Histoire de se consoler, il est vivement conseillé de revoir ces bijoux oniriques que sont Delicatessen, La Cité des enfants perdus ou Un Long Dimanche de fiançailles. Lesquels vieilliront toujours mieux que les bouses neurasthéniques filmées d’un pied souvent distrait et régulièrement encensées par ces mêmes Inrockuptibles, totalisant désormais à peine plus de lecteurs que de rédacteurs.
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