Il y a eu l'arbre à la mémoire d'Ilan Halimi scié, un Christ décapité dans le chœur d'une église et, mercredi, on apprenait que l'arbre - un olivier - planté par les gilets jaunes de Villeneuve-sur-Lot sur le rond-point du Campanile en souvenir d'Olivier Daurelle, leader tué accidentellement le 20 décembre dernier, a été arraché. Et toute « l'installation » (c'est le mot, pas forcément très heureux, du journal Sud Ouest) en son honneur saccagée : photos déchirées, croix arrachées, etc.

Certains s'insurgeront contre ce rapprochement entre deux actes antireligieux et ce vandalisme anti-gilets jaunes. Ils auraient tort car, dans la façon dont les gilets jaunes locaux se sont appropriés la mort de l'un d'eux, il y a beaucoup de symbolique : les croix et l'olivier. Et c'est d'autant plus fort chez ces gilets jaunes qui ont été diabolisés, au mieux comme des beaufs, au pire comme des fachos. Il faut avoir l'âme bien sèche pour ne pas être ému par cette rencontre du rond-point - lieu symbolique d'une modernité sans âme, du passage, du circulaire sans but, de la zone commerciale déshumanisée - et d'une forme d'humanité et de sacré. Comme un retour du refoulé. Cela dit quelque chose de leur désespoir, de leur solitude, de leur sentiment d'abandon. Ils ne l'ont jamais exprimé ainsi. Mais il y a bien de cela, si l'on creuse un peu.

Quant à la violence qui s'est acharnée sur ce « martyrium » d'un rond-point, elle révèle aussi l'autre face de ce vide spirituel de notre société : la violence contre les signes sensibles du sacré, nous reliant à la mort, aux disparus, à une communauté. C'est l'essence même de la religion dans ce qu'elle a de meilleur. Cette ronde de croix sur un rond-point, comme elle est, au fond, révélatrice.

Quelle que soit, par ailleurs, son opinion sur les gilets jaunes, on ne devrait pas faire ça. On a le droit de les trouver « ch... », ces gilets jaunes, comme bien des bobos l'ont dit sur les plateaux télé. Mais de là à aller saccager leur « installation » à la mémoire d'un mort... Surtout à un moment où l'opinion semble basculer en leur défaveur. Ce n'est pas très beau. Cette violence symbolique contre un mort, et contre un gilet jaune qui était considéré comme un « sage » du mouvement, est malsaine.

Cela devrait, d'ailleurs, inciter les autorités à modérer leurs attaques verbales contre les gilets jaunes. Et bien évidemment la répression physique. Le président de la République ne semble pas en prendre le chemin, en accusant les manifestants des samedis de se faire « les complices du pire ». Il ne faudrait pas qu'à la faveur du retournement relatif de l'opinion, certains se sentent poussés, par un pouvoir ragaillardi et redevenu arrogant, à de tels actes contre les gilets jaunes. Cela ne serait bon pour personne.

À Villeneuve-sur-Lot, la réaction des gilets jaunes locaux a été immédiate : ils ont reconstruit leur petit monument en hommage à Olivier Daurelle. Il y a de l'Antigone dans cette détermination et dans l'attachement au mort. Créon devrait y réfléchir.

L'événement m'a donné l'occasion d'aller sur le rond-point, et de dialoguer avec quelques gilets jaunes présents. Une belle rencontre, comme on dit. Il y avait Carole, Pierre, Jean-Paul. On n'était pas d'accord sur tout. Mais on se retrouvait sur une chose : "Ce n'est que le commencement." Créon devrait aussi y réfléchir.

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27 février 2019 à 19:07

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