L'essayiste et politologue Guillaume Bigot revient, pour Boulevard Voltaire, sur les conséquences du conflit ukrainien, à l'aune de l'élection présidentielle française.

Cela fait plusieurs jours que l’armée russe tente de faire plier l’armée ukrainienne. Un conflit tel que l’Europe ne l’avait pas vu depuis des décennies. Cette guerre va-t-elle influencer l’élection présidentielle française ?

Elle va effectivement influencer l’élection présidentielle française sur au moins deux points.

Premièrement, sur la remontée de la cote de popularité d’Emmanuel Macron. Et deuxièmement sur un nouveau retard dans l’annonce de sa candidature. Les deux convergent.

La stratégie d’Emmanuel Macron consistait à transformer le scrutin en une espèce de formalité démocratique, limite administrative, pour poursuivre l’agenda de la réforme qu’il va annoncer sur les dix prochaines années. La situation gravissime à l’est de l’Europe lui permet de mettre en œuvre ce projet et d'enjamber cette élection. Son projet n’est pas de faire campagne mais c’est d’indiquer qu’il est dans sa position de chef des armées. Il n’a donc pas vraiment le temps de faire campagne.

Il avait promis d’attendre que la situation sanitaire s’éclaircisse, et avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, il attendait que la situation géopolitique se calme.

On se rappelle les liens entre le Rassemblement national et le pouvoir russe. On se rappelle les propos d’Éric Zemmour disant qu’il fallait un “Poutine français”. Jean-Luc Mélenchon, par défiance vis-à-vis de l’OTAN et de la politique américaine, avait tendance à se rapprocher de la Russie. Tous ces candidats qui aspiraient à affronter Emmanuel Macron, voire à le battre au second tour, se retrouvent pris bien malgré eux dans cette tempête et se voient presque obligés de rendre des comptes sur la politique russe.

Ils ne sont pas presque obligés mais ils sont obligés. Dans ce soutien à Vladimir Poutine,  il y a deux faces : il y a d'un côté l’admiration d’un joueur d’échecs et d’un stratège jusqu’ici extrêmement prudent et habile qui, avant l’invasion de l’Ukraine, était le meilleur chef d’État en exercice. Il incarnait aussi la résistance à l’hégémonie américaine et la résistance à la mondialisation et, pour le dire autrement, il incarnait la résistance du politique face à l’économie. Lorsqu’on gratte un peu les GAFAM, l’Union européenne et la mondialisation, on tombe quand même sur les canons, les chars, les tanks, les bombes mais, de manière plus sympa, plus ouverte, plus pixellisée et surtout de notre côté à nous du monde, de manière non violente et démocratique. Poutine incarnait tout cela, c’est le bon côté. En revanche, il y a toujours eu un mauvais côté de Poutine. Le Poutine d’avant et le Poutine d’après ne sont pas les mêmes. On n’avait pas anticipé qu’il aurait ce degré de cynisme et de cruauté en envahissant son voisin, même si on savait qu’il pouvait être brutal. Par conséquent, le joueur d’échecs s’est transformé en joueur de poker. On ne peut pas reprocher à ces trois candidats de ne pas avoir vu cela puisque quasiment personne ne l’a vu.

D’un autre côté, il y a toujours eu un Poutine extrêmement autoritaire. On appelle la Russie, techniquement, une démocrature, c’est-à-dire un régime qui s’appuie sur une forme de légitimité démocratique, qui tolère un peu d’opposition, mais pas trop, et qui est quand même capable d’empoisonner les gens qui ne sont pas d’accord, de les réprimer, de les museler, de les traquer et de leur faire peur. Il faut les interroger en leur demandant ce qu’ils aimaient chez Poutine. Est-ce qu’ils aimaient la résistance à la mondialisation ? Ou est-ce qu’ils étaient en mal d’une forme autoritaire du pouvoir ?

Quelle réaction face à tout cela ?

Il y a vraiment une ligne de crête. Exercer une pression sur la Russie et exercer une pression sur les oligarques pour que ces derniers exercent eux-mêmes une pression sur Vladimir Poutine est probablement une très bonne idée. Exercer une pression psychologique symbolique, culturelle sur la Russie est aussi intéressant. Là où cela deviendrait contre-productif et dangereux, c’est sur deux points. Si on considère que Vladimir Poutine est isolé, il faut faire très attention aux réactions qu’on ne maîtrise pas. C’est très dangereux de ne pas laisser de porte de sortie à son adversaire.

Deuxièmement, c’est bien de marquer le coup symboliquement et de montrer que l’armée russe ne s’en tirera pas à bon compte et qu’elle est carrément sortie du cadre. Si on met complètement la Russie au ban des nations comme on l’a fait pour l’Irak et l’Iran, on va se rendre compte qu’on est parti dans une logique où, en général, les peuples font bloc avec leur dirigeant tellement ils en prennent plein la tête et tellement ils en viennent à les frapper eux.

Aucun peuple n’est considéré comme un paria. On se demande de temps en temps si les gens qui nous gouvernent ont bien compris l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas une série Netflix, c’est pour de vrai, comme diraient les enfants, et c’est tragique. Dans la situation actuelle, il faut faire très très attention à ce que l’on fait et bien mesurer ses actes. Je note que l’attitude du président de la République ne semble pas être celle des va-t-en-guerre de plateaux télévisés.

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03 mars 2022 à 22:00

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