François Asselin : « Il ne faut pas que le principe de précaution se transforme en principe d’inaction »
Réélu en janvier dernier pour un second mandat, François Asselin, entrepreneur engagé, est président de la Confédération des petites et moyennes entreprises. Son projet ? Poursuivre et intensifier son action pour « que les TPE-PME qui sont le poumon de l'économie française soient placées au cœur des débats économiques, sociaux et environnementaux ». Comment nos entreprises ont-elles traversé cette crise inédite et à quoi faut-il s’attendre à l’avenir ? Allons-nous relocaliser et changer notre manière de produire ou de consommer ? Entretien exclusif.
Comment vont les chefs d’entreprise, aujourd’hui ?
Vous savez, on ne fait pas d’affaires en faisant la tête ! Il faut rester résolument optimiste, même si l’avenir est un peu anxiogène. Aujourd’hui, ils sont confrontés à deux difficultés : assurer leur rentabilité, puisque produire ou servir coûte plus cher qu’hier ; et assurer le volume d’activité. Beaucoup de choses se dérobent sous nos pieds. Concernant le commerce, quels vont être, à moyen terme, les comportements des consommateurs ? Certains secteurs, comme les jardineries ou les magasins de bricolage, ont très bien marché grâce au confinement. Pour d’autres secteurs, les clients sont en train de modifier leurs habitudes de consommation. Il y a donc ces incertitudes, mais aussi des contraintes directement liées à l’épidémie, telles que les protocoles sanitaires, générateurs de coûts directs et indirects, et très compliqués à répercuter sur le prix de vente.
Les entreprises ont-elles été bien accompagnées pendant la crise ?
Nous avons beaucoup de chance de vivre dans un pays comme la France, que l’on soit salarié ou entrepreneur. La France a su porter, d’une part, ses salariés avec le dispositif du chômage partiel et, d’autre part, les entreprises en décalant les charges et en mettant en place un prêt garanti par l’État afin de pouvoir assumer cette période de pause de l’économie. Par contre, tout cela, ce sont des décalages de charges. Si, maintenant, les entreprises n’arrivent pas à se refaire une petite santé économique, le tas de sable qui a été poussé devant sera très dur à évacuer. Et cela, c’est le deuxième volet, sur lequel il faut avoir un œil très attentif de la part de l’exécutif. Car il ne faudrait pas qu’après une vague de difficultés d’entreprises arrive une deuxième vague d’entreprises en grande difficulté car elles ne pourraient tout simplement pas rembourser les dettes repoussées. Quand la France annonce avoir mis 500 milliards d’euros sur la table, il s’agit de prêts et de décalages de charges qu’il faudra rembourser. Pour autant, certains secteurs dont la fermeture autoritaire a été imposée ont bénéficié de plans d’accompagnement spécifique mis en place afin d’exonérer les charges.
Emmanuel Macron avait promis, lors d’une de ses allocutions télévisées qu’« aucune entreprise ne sera[it] livrée au risque de faillite » face à la pandémie. Cette promesse est-elle tenue au regard de la deuxième vague annoncée qui sera celle du chômage ?
Les entrepreneurs qui ont écouté cette allocution savaient que c’était une promesse impossible à tenir. Il y a entre 50 et 55.000 entreprises qui déposent le bilan, chaque année. Donc, même en temps normal, c’est déjà ce qui se passe. À travers ce que nous sommes en train de vivre, ce chiffre va immanquablement augmenter. En ce moment, les entreprises sont en suspension, mais cela, ça va s’arrêter et l’on va se retrouver dans une situation très compliquée.
En nous confinant, il s’agissait de faire passer l’humain avant l’économie. Est-ce que les chefs d’entreprise, dont l’activité a dû s’arrêter brutalement, comprennent cette décision ?
On comprend tout à fait que l’humain passe avant l’économie, et l’on ne va pas s’exposer de façon inconsidérée ni se mettre en danger, donc cela est tout à fait normal. Par contre, il ne faut pas que le principe de précaution se transforme en principe d’inaction. Si tout le monde avait écouté au pied de la lettre le président de la République, on aurait arrêté de produire des fruits, des légumes, de la viande, arrêté de les transporter, les distribuer et les vendre, et donc nous serions morts de faim ! L'opposition économie/humain est plus subtile qu'il n'y paraît car, dans l'économie, il y a de l'humain.
Quand vous faites du service à la personne, faut-il arrêter de faire la toilette aux personnes âgées ? Heureusement que les salariés et les entreprises ont continué d’assurer le service à leurs clients ou à leurs patients ! Il faut donc trouver le juste équilibre entre les moyens de se protéger et ne pas perdre le bon sens, car il faut continuer à vivre. Voilà pourquoi nous avons tous très mal vécu cette période. Nous étions dans une sorte de déni : d’un côté, il fallait rester chez nous et, de l’autre, aller travailler. J’ai eu des échanges assez vifs avec l’exécutif en affirmant : pas de masques, pas de travail ! Tout le monde savait que l’on manquait de masques. Mais on a commencé par nous dire « Après tout, le masque n’est pas si essentiel que cela » et le discours a très vite changé en « Si c’est indispensable ». Il était normal de prioriser l’approvisionnement au personnel de santé. Mais j’aurais aimé, dans un monde parfait et dans une économie de guerre, que l’on assume le fait de ne pas avoir de masques et que l’on propose aux Français de télécharger, sur le site du ministère de la Santé, la façon de coudre un masque chez eux. Ainsi, nous aurions pu mettre tous les foyers de notre pays au travail. Or, notre société est tellement complexe que si vous n’avez pas le masque aux bonnes normes, vous faites une erreur par rapport à la protection de vos proches et de vos salariés. Et c’est là où le principe de précaution se transforme en principe d’inaction.
Suite de cet entretien ici...
Propos recueillis par Iris Bridier
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