Fonction publique de l’État : tout n’est pas à jeter aux chiens !

Lorsqu’on prétend réformer la haute administration, il importe de s’inspirer d’une authentique conception de l’intérêt général et de l’amour de la France qui, au cours des 1.500 ans de son histoire, a mis en place de grands serviteurs pour empêcher les maîtres du moment d’imposer leur supériorité au peuple. Les rois ne s’y sont pas trompés en s’entourant de conseillers d’esprit libre et en créant les intendants pour servir le bien commun du pays.

Après la Révolution, Napoléon a consolidé l’État par une haute fonction publique compétente et intègre. La République a mis en valeur une administration impartiale, loyale et subordonnée au pouvoir politique. En 1958, de Gaulle a tenu à rassembler les composantes de l’Union nationale autour d’un premier gouvernement composé de hauts fonctionnaires irréprochables. C’est pourquoi il faut commencer par réformer l’institution elle-même de l’État sans chercher à amoindrir la haute administration dans la suspicion ou le mépris.

En fait, la crise des gilets jaunes ne cible pas la haute fonction publique mais la déviation de l’élite lorsqu’on oublie qu’elle doit s’identifier à l’« aristocratie » des meilleurs dirigeants. Plutôt que du racisme anti-État, il vaut mieux orienter la critique sur les dirigeants politiques, qui ont tendance à se perpétuer par l’endogamie des partis politiques en se répartissant les places par copinage ou par solidarité idéologique, ou sur les dirigeants médiatiques qui se contentent d’être les commentateurs du pouvoir en place, ou sur les dirigeants sociaux associatifs ou syndicaux qui s’installent dans la revendication, ou sur les dirigeants économiques dont souvent le profit sans limite ne permet aucune retenue de rémunération.

Par contre, l’administration de l’État républicain ne se limite pas aux hauts fonctionnaires, confondus à tort avec la technocratie ou la fonction publique territoriale. Tous les fonctionnaires, y compris les plus modestes, sont à tous les niveaux les serviteurs de la loi, de l’intérêt général et de tous les citoyens. La fonction publique s’honore de compter des serviteurs motivés qui acceptent une moindre rémunération, sont fiers de travailler selon le rythme et le mérite des dirigeants politiques et qui ne revendiquent que la considération et l’estime. Les hauts fonctionnaires ont mérité leur entrée dans le métier par un concours ouvert à tous sans places réservées et ont gagné leur poste de responsabilité dans un long cursus de compétence professionnelle.

Si l’on veut réformer l’État, il convient d’alléger son poids par la suppression d’une dizaine de ministères de convenance, de combattre les maladies de l’institution que sont la politisation et la corruption. Il faut écarter en priorité ceux qui, selon le spoil system, trahissent leur vocation de service en choisissant le pouvoir politique ou le profit de l’entreprise. Par la démission sans retour, il serait possible d’empêcher l’imposture des membres des grands corps qui ne se gênent pas pour cumuler des carrières ministérielles ou parlementaires. Il serait, également, opportun de moraliser la sortie des cabinets ministériels à l’encontre de petits marquis qui se servent de l’autorité de l’État pour accélérer leurs ambitions personnelles. De même, l’essentiel est de maintenir la présence irremplaçable de l’administration de l’État sur le territoire au milieu de la population, car il ne saurait y avoir de décentralisation des élus locaux sans déconcentration de l’État national.

Dans la crise, la France a toujours eu besoin d’un État impartial qui puise sa légitimité, et donc sa force et son autorité, dans la nation. Richelieu avait compris que « ceux qui sont dans le ministère de l’État sont obligés d’imiter les astres qui, nonobstant les abois des chiens, ne laissent pas de les éclairer ».

Paul Bernard
Paul Bernard
Docteur en droit, préfet de région honoraire, ancien préfet de la région Corse, président d'honneur de l’Association du Corps préfectoral

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