« Expulsion » de la Fraternité Saint-Pierre à Dijon : les fidèles montent au créneau

Dijon

Dans « Tradiland », la nouvelle a fait l’effet d’une bombe.  Par une lettre en date du 17 mai, l’archevêque de Dijon, Mgr Roland Minnerath, a « remercié » la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP) installée à la basilique Saint-Bernard depuis 23 ans, lui demandant de quitter les lieux pour la rentrée scolaire de septembre sans préciser la raison de cette décision. Il a fallu une entrevue avec un groupe de fidèles et, le 8 juin dernier, une mise au point du diocèse sur son site pour avoir une explication  : pour l’évêque, la communauté ne se mélange pas suffisamment au reste du diocèse et, surtout, les prêtres de la FSSP ne concélèbrent pas. Il est donc précisé que les fidèles pourront toujours assister à la messe en rite extraordinaire, mais célébrée par des prêtres diocésains, et « pour tous les autres services pastoraux, comme la catéchèse, le patronage, le scoutisme et les autres activités apostoliques, les familles qui le désirent trouveront le meilleur accueil auprès des paroisses locales […] ou de toute autre paroisse du diocèse ». Selon le communiqué, « le fait de confier maintenant les fidèles à des prêtres diocésains ne fera que renforcer leur communion avec l’Église diocésaine ».

Mais les arguments avancés peinent à convaincre lesdits fidèles. Un père de famille s’interroge : « Comment reprocher aujourd'hui aux prêtres de la FSSP ce qui les caractérise, la spécificité dont ils n’ont jamais fait mystère, leur inextinguible attachement au rite extraordinaire ? »

Quoi qu’il en soit, ces 300 catholiques - 40 enfants inscrits au catéchisme - sont sonnés par cette « expulsion », comme ils l’appellent. Et veulent faire entendre leur voix. Ils ont  ouvert une page Facebook, posté sur YouTube une vidéo de soutien et mis en ligne une supplique à l’évêque - réunissant à ce jour près de 4.500 signatures - pour lui demander de revenir sur cette décision. 

Si l’affaire dépasse largement Dijon, c’est parce que les craintes d’effet « jurisprudence » sont fortes : s’ils étaient tous, in fine, sur un siège éjectable, ne tenant, même au bout d’un quart de siècle, qu’à un fil, celui du bon vouloir de l’évêque ? Alors qu’il se dit qu’à Rome, le motu proprio institué par Benoît XVI serait menacé, les inquiétudes enflent et, avec elles, les amertumes de ceux qui se disent considérés trop souvent comme des catholiques de seconde zone, grattant des plaies mal refermées. Certaines datent d’il y a quelques mois, quand Mgr Aupetit assimilait la volonté de recevoir la communion sur les lèvres à un « petit business », ou que Mgr Grech, secrétaire général du synode des évêques, qualifiait d’« analphabétisme spirituel », de « foi immature » les manifestations, largement portées par les « cathos tradis » réclamant le retour de la messe pendant le confinement. Citons encore le bilan récent peu flatteur de la Conférence des évêques sur l’application du motu proprio de 2007. 

Si l’affaire fragilise psychologiquement la Fraternité Saint-Pierre, elle donne du grain à moudre à la Fraternité Saint-Pie-X, qui ne manque pas, en relatant cette éviction à la hussarde, de rappeler ces propos de Mgr Lefèvre au sujet des communautés « ecclesiadéistes » : 

« Il est évident qu’en se mettant dans les mains des autorités actuelles conciliaires, ils admettent implicitement le concile et les réformes qui en sont issues, même s’ils reçoivent des privilèges qui demeurent exceptionnels et provisoires. Leur parole est paralysée par cette acceptation. Les évêques les surveillent. »

Au-delà de ces sphères, certains clercs, qui veulent rester anonymes, s’interrogent sérieusement : alors que la base des catholiques - cultuels comme culturels - se contracte, l’Église peut-elle aujourd'hui s’offrir le luxe de laisser sur le bord du chemin ce clergé et faire fi de l'attachement de leurs fidèles ? 

Parce que la réalité démographique est là, comme le constatait le sociologue Yann Raizon du Cleuziou dans La Croix, il y a quelques mois, évoquant le catholicisme de gauche des années 1960-1970 : « Ses militants ont souvent voulu libérer leurs enfants de l’obligation d’assister à la messe pour privilégier l’engagement en faveur d’une société plus juste, jugé plus « évangélique ». Mais aujourd’hui, ses vétérans se trouvent sans postérité – ou presque – dans la jeunesse catholique résiduelle. » Les plus conservateurs, eux, ont transmis. Et ont eu beaucoup d’enfants. 

Ce dynamisme, ces jeunes pousses, qui repartent à la base du vieux tronc, devraient réjouir comme une divine surprise. Paradoxalement, il en irrite plus d’un. Car de ce côté-ci, les amertumes, les blessures et les non-dits sont aussi nombreux. Consciemment ou non, certains croyaient que le motu proprio ne visait qu’à assurer une transition compréhensive, en attendant que les vieillards nostalgiques passent (et trépassent). Aujourd’hui, il est douloureux pour eux de se faire traiter parfois, avec la cruauté de la jeunesse, de « boomers » et reprocher notamment d’avoir, par des initiatives liturgiques trop audacieuses, figé dans un cadre seventies daté, et donc déjà démodé, une religion éternelle.  

« Le mépris affiché pour les ultimes pratiquants est suicidaire », met en garde Yann Raison du Cleuziou. On pourrait en effet assister, mutatis mutandis, à une « giletjaunisation » spirituelle à bas bruit de ces fidèles périphériques, très attachés à leurs racines, leurs dévotions populaires, leurs rites ancestraux, et se sentant délaissés ou incompris par une élite aux manettes.

En attendant, une manifestation statique est prévue,samedi matin, à 10 heures, devant l’évêché de Dijon. 

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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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