[Entretien] Militants de Reconquête aspergés d’essence : « Quelle est cette volonté de la Justice de ne pas juger ? »

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Gabrielle Cluzel. Maîtres Bono et Lerate, vous défendez les militants de Reconquête qui ont été aspergés d’essence, en mars dernier, à Linas, dans l’Essonne. Le traitement réservé à leur plainte vous étonne. Pourquoi ?

Maître Sébastien Bono. Les choix procéduraux du parquet d’Évry sont éminemment critiquables et, pour tout dire, très choquants dès le début de l’affaire. Mais il y a pire : une sorte de zèle et de persévérance dans des choix qui ne peuvent être des erreurs mais qui confinent à l’arbitraire.

Les faits de l’affaire sont très simples. Je défends un père de famille avec son épouse et ses enfants, militants de Reconquête. Au moment des faits, ils se trouvent sur un pont surplombant la Francilienne à Linas, dans l’Essonne. Ils ont déployé une banderole « Zemmour Président » et, avec des drapeaux, saluent en contrebas les automobilistes. Beaucoup d’ente eux répondent avec humour. Cependant, deux occupants d’une voiture verte estiment, par conviction idéologique, que cette manifestation militante est intolérable. Ils sortent de la Francilienne, font un détour dans un garage, remplissent un jerrican d’essence et prennent la résolution d’attaquer les militants. Ils parviennent aux abords du pont. Là, ils aperçoivent les militants en train de ranger le matériel. L’opération est terminée et les militants sont en train de saluer des policiers municipaux venus sur les lieux.

Les futurs agresseurs attendent que les policiers partent pour foncer sur le groupe en aspergeant tout le monde d’essence. Il y a huit personnes dont trois enfants, le plus jeune est âgé de 11 ans.

Gabrielle Cluzel. Comment réagissent alors vos clients ?

Maître Sébastien Bono. Ils sont tous très choqués à la fois par la surprise, par l’odeur et par la pensée angoissante qu’il peut s’agir d’acide. Ils se dispersent pour rentrer se nettoyer chez eux. Mon client, avec sa famille, croise à nouveau la voiture de patrouille des policiers. Il explique ce qui vient de se dérouler lorsque son fils de 11 ans aperçoit la voiture verte des agresseurs qui revient vers eux. En apercevant les policiers, les agresseurs prennent la fuite. Néanmoins, une policière a le temps de noter la plaque d’immatriculation, ce qui permettra leur arrestation très rapidement.

Gabrielle Cluzel. Comment est traitée cette affaire par la Justice ?

Maître Sébastien Bono. Dans les heures qui suivent les faits, le procureur d’Évry prend la décision d’orienter le dossier en « composition pénale », c’est-à-dire de ne pas poursuivre les auteurs devant un tribunal, mais seulement de les convoquer dans ses services pour leur proposer un stage de citoyenneté. Une telle mesure d’alternative aux poursuites est réservée normalement à de petites infractions, généralement des incivilités, de faible gravité. Pour vous donner un ordre de comparaison, un militant a été convoqué en « composition pénale » parce qu’il avait collé des affiches électorales en dehors des emplacements réservés…

Face à cette décision d’impunité, que nous trouvons inacceptable, nous avons agi. Les agresseurs ont reconnu avoir agi par haine des idées nationales pour intimider les militants. De plus, le retour sur les lieux est très inquiétant : voulaient-ils achever leurs basses œuvres ? Dès lors, on doit requalifier les faits en tentative d’homicide volontaire terroriste. J’ai donc déposé une plainte pénale avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d’instruction de Paris. Cette plainte, à laquelle se sont jointes les autres victimes, a déclenché les poursuites.

C’est là qu’intervient le deuxième volet - navrant - de l’affaire du parquet d’Évry. En début d’audience de « composition pénale », je dépose des conclusions expliquant que le juge d’instruction de Paris est saisi des faits par ma plainte. En droit, il ne peut plus, donc, y avoir « d’alternative aux poursuites » dès lors que des poursuites pour les mêmes faits sont déjà exercées par la plainte déposée.

Le délégué du procureur suspend l’audience pour solliciter des instructions de sa hiérarchie. Il revient et nous notifie le renvoi du dossier au juge d’instruction de Paris. Nous sommes trois avocats, les prévenus et une autre personne à entendre le prononcé de la décision. L’audience terminée, les avocats enlèvent leur robe et un confrère quitte le tribunal. Je demande au délégué du procureur s’il peut me donner copie de sa décision de transmission du dossier au juge de Paris, ce qu’il accepte de faire. Alors qu’il est train de la rédiger, il reçoit un appel téléphonique du procureur qui veut le voir dans son bureau. Contre toute attente, le délégué suspend sa rédaction.

À son retour, il nous annonce revenir sur la décision qu’il venait de prononcer. Il va notifier définitivement en audience. Ceci est totalement inédit et invraisemblable. C’est totalement dévastateur de toutes les valeurs de la Justice. On ne peut pas annoncer une décision en audience et puis, au gré d’une instruction contraire, revenir dessus et annoncer la décision opposée. Bien sûr, nous avons protesté. Le bâtonnier d’Évry lui-même est venu à notre demande. Le représentant du procureur lui a confirmé avoir notifié la décision dans un sens puis le revirement dans l’autre sens. Le bâtonnier d’Évry a demandé à rencontrer le procureur pour régler cet incident de procédure entre gens de robe. En vain.

C’est plus que désolant. Une faillite complète des règles de droit. C’est là qu’on touche à l’arbitraire. Quelle est cette volonté de la Justice de ne pas enquêter et de ne pas juger ?

Gabrielle Cluzel. Avez-vous des raisons de penser que vos clients pâtissent de leur étiquette politique ?

Maître Lerate. Malheureusement, oui. C’est du moins ce qu'illustre le traitement judiciaire de cette affaire où, au départ, nous n’avons ressenti que de l’indifférence et qui, très rapidement, a cédé la place à une certaine et étrange fébrilité. Une affaire, faut-il le rappeler, que le procureur d’Évry avait pris soin de qualifier de « non-affaire ». Si jamais nous avions pu conserver encore le moindre doute à ce sujet, la sous-qualification pénale des faits, le déroulement de la procédure de l’audience de composition pénale que l’on qualifiera volontiers d’inédit et, c’est le moins que l’on puisse dire, d’assez peu orthodoxe et, avec eux, les déclarations du délégué du procureur qui, le premier, évoqua, en notre présence, comme pour justifier l’injustifiable, la couleur politique du dossier, auront achevé de le dissiper. Rien ne peut mieux éclairer ce à quoi nous avons assisté que les spécificités politiques de l’affaire et les instructions qu’a manifestement reçues le parquet d’Évry ; instructions dont nous avons compris, de la bouche même du délégué, qu’elles émanaient du parquet général de Paris et de la Chancellerie, c’est-à-dire du ministère de la Justice.

Comment expliquer le maintien d’une composition pénale alors qu’une plainte avec constitution de partie civile avait été déposée entre les mains du doyen des juges d’instruction de Paris, sinon par la volonté de n’accorder à cette affaire aucune publicité. Pour nos clients, pourtant victimes de faits d’une particulière gravité, l’affaire semblait entendue : pas de procès public, pas de réparation publique. Ainsi, aux yeux de l’opinion, il ne pouvait être question de victimes, de peur de les ériger en « martyrs ». Or, sans victimes, pas de coupables. En somme, pas de justice !

Gageons que les choses eussent été bien différentes si, dans notre affaire, les victimes avaient été les coupables et les coupables les victimes.

Gabrielle Cluzel. Que comptez-vous faire, à présent ?

Maître Lerate. D’abord ne pas abdiquer devant les événements. Ensuite nous battre pour nos clients, afin que leurs voix soient entendues, afin que cesse ce silence assourdissant qui condamne les victimes à l’indifférence et à l’oubli et dérobe les coupables à la vindicte et au verdict judiciaires. Non par vengeance, mais pour que passe la justice, rien que la justice, mais toute la justice.

Pour cela, nous attendons beaucoup des plaintes avec constitution de partie civile que nous avons déposées, dont nous espérons qu’elles seront traitées avec la sérénité et l’impartialité qui doivent prévaloir en de telles circonstances. Nous espérons aussi qu’elles ne seront pas empêchées par la fixation d’une consignation d’un montant tel que nos clients n’auraient pas la possibilité de l’acquitter. Nous avons, par ailleurs, écrit au président du tribunal judiciaire d’Évry - qui sera appelé à valider la composition pénale - en lui demandant de ne pas accepter la proposition de peine du parquet, pour que des actes comme ceux-là ne fussent pas sanctionnés par un simple stage de citoyenneté. À ce jour, aucune réponse ne nous a été apportée.

Enfin, nous réfléchissons aux autres voies de droit que nous pourrions suivre si, ce qu’à Dieu ne plaise, la composition pénale était maintenue. Mais vous comprendrez naturellement que, pour l’heure, nous ne brûlions pas nos dernières cartouches.

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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

53 commentaires

  1. N’oublions surtout pas de saluer ces deux avocats pour leur combativité au service des victimes. A la lecture de l’article de G. CLUZEL, l’adversité pour ces 2 hommes surgit de partout. Comptons sur leur ténacité pour faire enfin triompher la justice. Une fois n’est pas coutûme.

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