[Entretien] Général Desportes : « Nous basculons dans une guerre juste, ce sont les plus dangereuses »

Gal Deportes

Le 24 février 2022, la Russie déclenchait la guerre en Ukraine. Un an plus tard, le général (2s) Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre, revient, pour Boulevard Voltaire, sur les enseignements militaires, les surprises et les issues à haut risque de ce violent conflit au cœur de l’Europe.

Marc Baudriller. À un an du déclenchement de cette guerre, quels enseignements tirez-vous de ce conflit européen pour les armées françaises, pour notre tactique militaire et l’adaptation de notre matériel ?

Général Vincent Desportes. Notre armée a été construite pour des opérations limitées dans un espace réduit, avec des forces limitées. Les pauvres moyens qu’on lui donne ne sont pas adaptés à cette nouveauté : on a découvert que la guerre de haute intensité n’était pas morte et qu’elle pouvait revenir. L’armée française n’est pas préparée à cela. Elle a perdu les éléments nécessaires à ce type de guerre sur la durée : profondeur et hauteur stratégiques, stocks de pièces, etc. Avec nos forces actuelles, nous tiendrions moins de 100 kilomètres d’un front qui fait 1.300 kilomètres. Nos forces sont sans commune mesure avec celles qui sont engagées : nous disposons, par exemple, de 100 chars lourds, contre 1.200 chars russes. L’artillerie française dispose de 100 canons, l’armée russe en possède 2.000. On voit que si nous sommes préparés pour des opérations de police militaire à l’international, nous ne sommes pas à la hauteur d’une guerre de haute intensité.

D’où les mesures prises par Emmanuel Macron via la loi de programmation militaire. Mais cela ne sera pas suffisant. Il faudrait que le budget consacré par la France à sa défense nationale passe de 2 % du PIB, aujourd’hui, à 3 % du PIB, avec une politique planifiée pour atteindre, à terme, la barre des 4 % du PIB. Par ailleurs, pour accéder à l’excellence, il faut de l’entraînement. Notre armée est si petite qu’elle a perdu son savoir-faire. D’où l’exercice Orion 2023 [une simulation de guerre de haute intensité menée en Occitanie, NDLR] actuellement en cours : c’est une manœuvre interarmées importante sur le terrain.

M. B. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans la conduite de la guerre en Ukraine ?

Gal V. D. Ce qui a surpris le monde occidental, c’est la capacité de résistance de l’Ukraine. Il est aussi désormais avéré que l’armée russe est de mauvaise qualité, qu’elle manœuvre mal, maîtrise mal la logistique et qu’elle est mal commandée. C’est toujours une armée d’hier. Elle possède certains matériels très modernes qu’on a d’ailleurs peu vus sur le terrain mais ressemble assez à celle de l’Empire soviétique avant la chute du mur. En face, l’OTAN avec son commandement « à la mission » s’avère plus efficace que le commandement centralisé et très vertical que pratique l’armée russe.

M. B. L’issue sera-t-elle militaire ou diplomatique ?

Gal V. D. Nul ne sait si la guerre durera un an ou davantage. Les deux discours entendus hier [discours de Joe Biden et de Vladimir Poutine prononcés ce 21 février, NDLR] ne font rien pour nous rassurer. Car nous basculons dans une « guerre juste » : ce sont les plus dangereuses car elles ne peuvent s’achever que par la destruction totale de l’adversaire ou par une guerre nucléaire. Il faut savoir jusqu’où ne pas aller trop loin pour ne pas réveiller l’Iran, la Chine ou la Turquie qui a des revendications sur la Crimée. La Crimée a été trois siècles sous la domination turque. On ne peut pas vouloir l’effondrement de la Russie car la chute d’un empire produit de nombreux désordres. Ce qui est sûr, c’est qu’une des voies de sortie de crise de Poutine, c’est l’arme nucléaire. Il faut lui montrer une autre issue. Aux Européens de trouver les solutions pour sortir de la guerre, sauf à ce que s’installe le chaos qui permettra aux États-Unis de faire prévaloir leurs droits sur notre continent.

Note de la rédaction : le général Desportes a publié, le 4 janvier, chez Odile Jacob, le livre Devenez leader (256 pages, 23,90 euros).

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

34 commentaires

  1. De quoi auront l’air demain, quand les Russes défendront à mort la Crimée et que l’OTAN devra plier, nos colonels et généraux stratèges de plateaux-télé, tous formatés US Army, sortis du placard par leur ministre pour nous vendre tous les soirs depuis un an la débâcle de l’armée russe sur les toutes les chaînes du service public de la propagande ?

  2. L’armée comme en 39, pas de capote pour tout le monde, la garde avec un fusil oui mais avec une cartouche !

    • « Une cartouche »? C’est déjà ça, si vous êtes bon tireur. En juin 40, mon paternel et ses camarades se sont retrouvés encerclés par les troupes allemandes et contraints par la force des choses à mettre les mains en l’air. Le calibre des munitions en dotation ne correspondait pas à celui de leur arme individuelle.

  3. Les Européens tenaient une solution : l’application des accords de Minsk signé par Kiev et par Moscou . Les Démocrates américains ont exigé de Mme.Merkel et M.Macron qu’ils renoncent à ce projet de paix. Macron a obéi et Mme.Merkel s’en est allée pour ne pas boire la coupe amère de la honte. Désormais nous sommes en guerre contre Moscou.

  4. « une guerre juste »
    C’est vrai, c’est  » juste » effroyable de voir des gens s’entretuer, et de constater qu’on les encourage à tuer d’avantage en livrant des armes de plus en plus destructrices pour que ça continue le plus longtemps possible.
    La seule attitude « juste  » face à ce lamentable conflit fratricide est la recherche de la paix par la négociation, mais ça, notre cher général ne nous en parle pas!

  5. En face l’OTAN qui combat mieux …??? Ben nous sommes en guerre contre la Russie oui ou non ? Devons craindre la perte de soldats français sur le sol ukrainien oui ou non ? Et pour quelle raison nous devrions risquer une guerre dévastatrice sur le sol français alors que les ricains qui jettent des seaux d’essence sur le conflit n’ont jamais connu de dévastation sur leur territoire à part le 09/11 ?
    Les russes n’ont apparemment pas la qualité de nos guerriers spécialises occidentaux mais ils ont la quantité ..comme du temps des guerres napoléoniennes ou celle de WWII, ils sont chez eux et les Russes ont beaucoup plus de motivation que les « nouveaux « peuples européens à se faire trouer la peau pour défendre un joueur de piano à queue

  6. Le ministre de la défense qui nous annonce fièrement que nous allons nous remettre à fabriquer de la poudre , pour nos munitions ! Il serait temps ! Mais , ce n’est pas seulement la poudre qu’il faut rapatrier , les munitions de tous calibre aussi. Nos fusils d’assaut et nos révolvers sont fait soit en Allemagne soit en Belgique, à minima ils faudrait les fabriquer sous licence. Enfin , comme dit dans l’article, nos moyens en avions de combat et en chars sont ridicules , il en de même pour notre marine, un effort important doit être fait. Pour terminer , oui , c’est à L’UE de proposer un plan pour sortir de cette spirale guerrière , Stop à ces va t en guerre comme Van Der Leyen !

    • Ne pas oublier que le chancelier Olaf Scholz, peu de temps après son élection déclarait que l’armée allemande devait devenir la plus importante d’Europe, comme sous Hitler donc…

  7. Doucement mais sûrement le plan se dessine effectivement la fragile Europe se trouve entre les deux grands de ce monde et nous au milieu nous allons en faire les frais. Bravo au pseudo chef des armées en France qui a fait démissionner un grand général lors de son arrivée au pouvoir lequel avait suggéré que le budget militaire était réduit. Un chef des armées qui n’en est pas un ne peut que nous conduire au chaos. Chacun son métier monsieur le Président nous ne sommes pas dans un théâtre de lycée.

  8. Ça ne sent pas très bon pour l’Europe et la France, après deux conflits mondiaux qui nous ont mis à genoux, ce dernier conflit pourrait bien être le dernier clou du cercueil de la « vieille Europe ». C’est vrai que nous n’avons ni chars, ni canons, ni avions en suffisance, mais il nous reste l’arme atomique comme arme de dissuasion. On peut remercier Charles de Gaulle pour ce choix que ne feraient pas nos dirigeants actuels. Il nous reste également nos banlieues qui regorgent de jeunes hommes pleins d’énergie et impatients de combattre sous les couleurs de la France pour défendre les valeurs occidentales (je plaisante bien sûr !) Nous avons voulu une Europe comme un grand supermarché (sans les vigiles), on voit le résultat … mais c’est trop tard !

  9. J’ai écouté cet individu sur tv libertés il y a quelques semaines, j’ai coupé tellement ce type déconne à plein tube, et je n’ai pas été le seul.

    • Ca me rappelle ces généraux de 14-18 des états-majors bien à l’abri qui envoyaient des millions d’innocents à la boucherie !

  10. Je souhaiterais que ces généraux « de plateaux » se taisent ! Quant à la capacité de résistance de l’Ukraine, c’est « grâce » aux soutiens américains et européens sinon il y a longtemps que le clown aurait accepté les négociations ! N’oublions pas non plus comment le précédent président ukrainien traitait les russes !
    Et à qui profitent les milliards versés au clown corrompu Zelensky ? Au détriment des peuples européens !
    L’Europe n’est qu’un terrain de guerre des américains et nous rendre totalement dépendants économiquement d’eux à cause de nos incapables dirigeants responsables de la déliquescence de nos sociétés !

  11. « sauf à ce que s’installe le chaos qui permettra aux États-Unis de faire prévaloir leurs droits sur notre continent. »

    On peut comprendre ce que dit le général Desportes et être assez d’accord avec ce qu’il dit, tout en s’étonnant du « Droit des USA sur notre continent » … Ah et quel est-il donc ?

  12. Les droits des USA sur notre continent, c’est fait, c’est l’Otan, organisation dite défensive, passée sans transition à instrument de domination hégémonique, pour instaurer la « bonne » gouvernance » mondiale, c’est-à-dire américaine. D’où l’empressement à admettre Suède et Finlande : toute l’Europe doit en être. Nous sommes bien ici dans l’origine même du conflit en Ukraine : coup d’état du Maïdan, installation d’un gouvernement « marionnette » à Kiev qui ne peut rien refuser aux USA, prises d’intérêts US en Ukraine (fils Biden, etc.), en finir à l’est pour régler le problème du Donbass par les armes, et avoir alors les mains libres pour admettre l’Ukraine dans l’Otan. Le butin : prise des mers Noire et Azov par le contrôle des ports vitaux pour les Russes. Mais le Russe a vu venir et s’est rebiffé, l’Ukraine sera un « pays trop loin » pour les USA. La victoire stratégique sera russe, qu’on se voile la face devant cette réalité ou non.

  13. Toutes les guerres sont faciles à mettre en marche. C’est l’arrêt qui pose problème. Avant de s’y précipiter faudrait à tout prix chercher un plan b. Merkel ayant reconnu n’avoir jamais eu l’intention de voir respectés les accords de Minsk ,cherchez l’erreur stratégique.

  14. Un general essayiste, tout est dit . Il a choisi son camp , celui qui se fait passé pour celui du bien .

  15. Oui la France ne tiendrait pas longtemps , le peu de munitions que nous avions a été sacrifié par Macron à la guerre en Ukraine . Pauvre France que te reste t’il ? Qu’ont ils fait de toi tous ces misérables au pouvoir .

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois