« Chante les armes et le héros…» Ainsi commence toute épopée. Le museau sous ma muselière, je vais au Monoprix acheter des collants que je peux rapporter : ils resteront quinze jours en quarantaine. Mais je n’ai pas droit au Patafix™ ni aux assiettes : ces articles non essentiels sont cernés par un cordon sanitaire. Au rayon d’alimentation, peu de monde depuis que les touristes ne viennent plus. Une caissière, sous sa voilure en plastique, se penche vers son collègue qui nettoie son tapis roulant : « Moi, c’est la semaine prochaine. » Quoi ? Le chômage partiel. Je demande. « Le magasin va fermer ? » Haussement d’épaules. Nous sommes en guerre.

Salut au chien loup du clochard, démuselé, assis à l’entrée. Le boulevard Saint-Michel est désert. Les bistrots ? Fermés. La librairie Compagnie ? Fermée. Une librairie fermée est un crève-cœur. Au coin de la rue, le gouffre lumineux d’une pharmacie, surmonté d’une croix verte. J’interroge la pharmacienne. Si elle a des « covidés » ? Oui, beaucoup, des personnes jeunes, cette fois. « Et pour vous ? » Pour moi, ce sera ginseng, gelée royale et propolis. À la guerre comme à la guerre : gestes barrières, défenses immunitaires.

La place de la Sorbonne déserte. Rue Soufflot, aucune barricade contre le noir qui monte. Angoissante, cette atmosphère. Un couple passe. Nous échangeons quelques mots. Je demande : « Vous connaissez beaucoup de gens atteints de la Covid (le virus s’est vite féminisé) ? » Hésitation, puis, comme pris en faute pour cet arrêt de la vie que nous vivons, le jeune homme affirme : « On connaît des infirmiers à l’hôpital qui soignent beaucoup de personnes atteintes du Covid. » Même réponse, toujours et partout.

Deux questions me taraudent. Où sont les gyrophares des ambulances déchirant la nuit ? Personne ne serait atteint de la grippe française ? J’en connais pourtant qui le sont, chaque année. À ce moment, je vois une ambulance au bas d’un immeuble. Je remonte vers le Panthéon où les héros de la Grande Guerre, Ceux de 14, entreront le 11 novembre, Maurice Genevoix en tête. Dans la rue Mouffetard déserte, sur une vitrine de magasin, on voit encore les lettres « Tout est vide ? Le Co-vide est passé par là. Divisez par deux le prix des articles. » Le chemisier fleuri made in China, à 10 euros, est toujours sur le mannequin. C’était il y a quinze jours : la clé du magasin est, à présent, sous la porte. On ne compte plus les commerces du boulevard Saint-Michel qui ont fait de même. On disait, il y a peu : le Quartier latin. On pense, aujourd’hui : « Passé sacrifié à vendre. »

Le pays souffre d’un déficit hospitalier. Psychose et défiance se partagent les esprits. Le privé est-il opérationnel ? Un médecin du Loiret affirme avoir constaté des certificats de décès par Covid-19, en EHPAD, de personnes âgées qui n’étaient pas mortes du virus. Le « bac à lauréats » cru 2021 est compromis. Au-delà de l’océan, dans la plus vieille démocratie du monde, c’est la guerre. Drôle de guerre. Mais la vie sans la vie, on l’appelle « la vie nue ».

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08 novembre 2020 à 11:16

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