S’il y a un seul film à voir au cinéma, cet été, c’est bien celui-ci.

Ressorti sur les écrans dans une version restaurée 4K, l’occasion est trop belle de redécouvrir en salles In the Mood for Love, le chef-d’œuvre de Wong Kar-wai.

Située à Hong-Kong en 1962, l’intrigue débute avec l’emménagement simultané de deux couples au sein du même immeuble. Voisins de palier, leurs échanges se résument pourtant à des formules de politesse, à des banalités ou à quelques menus services rendus par courtoisie. Dans l’intimité, le quotidien des deux couples n’a rien d’idyllique et révèle rapidement les frustrations de Mme Chan et de M. Chow. La première se retrouve seule régulièrement lorsque son mari part à l’étranger pour affaires, tandis que le second vit difficilement les absences de son épouse. Dès lors, liés par un sentiment de solidarité mutuelle, les deux personnages esseulés se rapprochent…

Le jour où Mme Chan et M. Chow comprennent que leurs conjoints vivent secrètement une liaison amoureuse, expliquant ainsi leurs absences répétées et opportunément synchrones, la tentation devient grande pour eux de céder l’un à l’autre. M. Chow, au fond, se laisserait volontiers aller si Mme Chan n’était habitée par quelque scrupule confucéen : « Nous ne sommes pas comme eux », lui lâche-t-elle, un soir, avec résignation. Et son partenaire d’acquiescer devant l’évidence morale et la vertu de cette femme.

In the Mood for Love, par le souci éthique de ses personnages, n’est pas sans évoquer La Princesse de Clèves et son propos empreint de stoïcisme antique. Car à l’image du roman de Madame de La Fayette, la raison et le sens du devoir priment ici sur les sentiments, exactement comme dans ces romans de wuxia qu’écrivent à quatre mains M. Chow et Mme Chan lorsqu’ils se retrouvent le soir dans leur chambre d’hôtel. L’empereur stoïcien Marc Aurèle encourageait à mettre sous le boisseau nos frustrations individuelles (« Ce qui ne lèse point la cité ne lèse pas non plus le citoyen »). Confucius ne dit pas autre chose : « Vaincre son Moi pour se replacer dans le sens des rites (ou des usages), c’est là l’humanité véritable. » Autrement dit, les passions doivent être domestiquées chez chacun d'entre nous afin de ne porter atteinte à l’ordre établi - le mariage, en l'occurrence, qui sous-tend les deux couples.

Les bouddhistes, de leur côté, identifient cette passion, cette « soif » (Taṇhā, en sanskrit) à l’une des causes de la souffrance (dukkha). C’est pourquoi M. Chow, dans une démarche spirituelle, s’en ira finalement au Cambodge prier dans un temple afin de se libérer de son amour pour Mme Chan, permettre l’extinction de ses désirs et la cessation de dukkha. Une séquence poétique d’une intensité rare au cinéma.

Si la résignation de Mme Chan s’explique par la raison, le souci de la vertu et de la bienséance confucéenne (le « bien commun »), M. Chow choisit pour sa part la voie plus individualiste du bouddhisme pour mieux accepter le statu quo. Les chemins diffèrent mais la finalité reste la même.

Septième long-métrage de Wong Kar-wai, In the Mood for Love a décidément tout pour plaire : une narration inspirée et une mise en scène envoûtante au service d’un propos intellectuellement consistant ; la présence au casting de Tony Leung Chiu-wai et de Maggie Cheung pour un tandem demeuré mythique dans l’histoire du cinéma ; et, enfin, une photographie magnifique du non moins légendaire chef opérateur Christopher Doyle.

5 étoiles sur 5

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 16/08/2021 à 11:16.

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15 août 2021 à 11:05

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