De la musique classique à la condamnation pénale des constructeurs automobiles ?

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Il vient de changer de véhicule : vu son âge, c'est sans doute le dernier de sa vie, car désormais, on garde son véhicule dix ans et plus. Rien à voir avec les années 60 où on en changeait après 100.000 kilomètres : obsolescence programmée (déjà). Il vient, en effet, de prendre une retraite bien méritée, même si les politiciens incapables ou complices réduisent peu à peu sa pension. Son projet est de pouvoir enfin profiter d'une vie calme et heureuse, tant que la maladie ne la gâte pas. Avant tout, aller voir ses petits-enfants éparpillés dans l'Hexagone et écouter la belle musique. Il a choisi le véhicule pour pouvoir conjuguer ces deux besoins : rouler en sécurité confortablement sur de longs trajets, et aussi en silence pour écouter la musique de son choix.

N'imaginant pas que cela puisse lui être interdit, il prépare son premier déplacement de province à province (six heures aller, plus les pauses), hors possibilité de TGV. Il place sur le siège passager trois ou quatre CD qu'il voudrait savourer. La musique est un grand plaisir de l'âme, de la sensibilité, calme les impatiences dangereuses provoquées par les autres conducteurs, agités. Avant de démarrer, il relit la pochette de ce François Couperin qui accompagnera les premiers kilomètres, puis cherche la fente où glisser le CD. Il ne connaît pas encore sa voiture neuve, tâtonne, hasarde, examine, explore, palpe, appuie sur tous les boutons plausibles (il y en a des dizaines, souvent ridiculement inutiles), relit la notice puis, de guerre lasse, appelle le vendeur de ce « grand » constructeur français… Aimable et consterné, ce dernier avoue : « Mais monsieur, il n'y a plus de lecteurs de CD, aujourd’hui. » Stupéfaction. « Aujourd'hui », « désormais », « maintenant », ce sont les mots préférés de la « geektature » financière. Des mots qui cherchent aussi à stigmatiser, à lui montrer qu'il est un handicapé, un inadapté du modernisme. Écouter sa musique dans sa voiture ? Quelle idée... Écoutez donc la radio (comme dans les années 70). Ou alors demandez à votre petit-fils (qui est plus intelligent que vous) de copier vos vieux CD sur des clés USB. Comment on fait ? Mais c'est facile ! D'ailleurs, il y a un port à cette fin au fin fond du vide poche, sous les mouchoirs, les chewing-gums, les masques Covid. Vous voulez lire les pochettes lors de la pause ou le soir à l’hôtel ? Pour quoi faire ? Les paroles des Nuits d'été, de Berlioz ? Késako ? Le CD est condamné, Monsieur, comme les cassettes de votre jeunesse, au millénaire précédent. On sort encore des dizaines de CD classiques par mois. Vous êtes sûr ? (ton goguenard). Vos CD sont protégés contre la copie ? Mais on peut facilement les trouver sur les piratages d'Internet. Sur clés USB, la qualité est moindre ? C'est le progrès, on ne peut rien y faire... Voir votre arrière-petit fils.

Quant à la grande chaîne d'équipements auto, elle avoue ne pas vouloir toucher l'informatique de ce constructeur, dont il est connu que ce n'est pas le point fort. Des centaines d'internautes en colère se communiquent leurs trucs pour leur survie musicale. Mais rien de simple et pratique. Le droit à la bonne musique vient tout simplement d'être supprimé !

Il y a deux réponses juridiques possibles à la stupidité des constructeurs : soit l'annulation de la vente pour vice du consentement (erreur sur les qualités essentielles du bien vendu, article 1132 du Code civil), soit la mise en prison du responsable de cette obsolescence programmée. En effet, l'article L.213-4-1 du Code de la consommation stipule : « L'obsolescence programmée se définit par l'ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement. » Ce qui est puni « d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 300.000 € d'amende ». Et ce montant peut être porté « à 5 % du chiffre d'affaires moyen annuel ». Soit 12 milliards, pour ce constructeur, et une amende potentielle de 600 millions. Cher le CD !

Henri Temple
Henri Temple
Essayiste, chroniqueur, ex-Professeur de droit économique, expert international

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