[Cinéma] The Quiet Girl, l’Irlande rurale : film émouvant et intimiste

the quiet girl

Ce film a bien failli passer sous nos radars. Adapté des Trois Lumières (Foster, en version originale), un roman très court de Claire Keegan paru en 2011, The Quiet Girl est de ces œuvres intimistes qui se distinguent de la production actuelle par l’élégance et la pudeur de leurs sentiments.

Réalisé par Colm Bairéad, et essentiellement tourné en gaélique, le film est à situer dans l’Irlande rurale du début des années 80. Jeune fille effacée, timide et craintive, Cáit vit dans l’indifférence quasi totale de ses trois sœurs, comme de ses parents. Peu aimable, rustaud, le père de famille dilapide au jeu les maigres ressources du foyer, tandis que la mère, sans cesse affairée à droite à gauche, attend un énième enfant. Pour la soulager momentanément, le temps de sa grossesse, les parents décident d’envoyer Cáit dans une ferme du Wexford, au sud-est de l’Irlande, où vivent les époux Kinsella, une cousine de la mère et son mari taciturne.

Si, rapidement, la femme se montre avenante envers la fillette et lui procure l’attention inespérée à laquelle elle n’a jamais eu droit, l’homme met du temps à sortir de sa réserve et à témoigner le même intérêt pour la petite. Une attitude qui trouvera son explication au cours du récit, les époux partageant un lourd secret que Cáit apprendra incidemment, un jour, de la bouche d’une femme du village, aussi indiscrète que médisante.

Au fil des quelques semaines passées au milieu de ce couple bienveillant, parfaite antithèse, au demeurant, de celui que forment ses parents, la jeune fille va enfin s’autoriser à vivre, s’épanouir et découvrir que les rapports humains ne sont pas toujours source de contrariétés ou de vexations. Cáit fera ainsi l’expérience d’une véritable vie de famille quand les Kinsella combleront avec elle le manque dont ils souffrent terriblement depuis des années. En cela, le plan final du film, et la réplique qui l’accompagne, lourde de signification, sont sans équivoque sur la nature du lien qui s’est peu à peu tissé sous nos yeux.

Les films irlandais parvenant jusqu’à nous sont, la plupart du temps, chargés d’une dimension politico-historique qui nous renvoie aux événements troublés du XXe siècle ; ou bien, au contraire, s’exaltent dans une bonhomie espiègle et rigolarde, comme le récent Banshees d’Inisherin. The Quiet Girl, lui, se singularise de ces deux catégories par le soin apporté aux non-dits, aux sous-textes, aux regards fuyants, aux gestes a priori anodins mais riches de sens. En somme, un cinéma de la délicatesse qui n’est pas sans rappeler les ambitions premières de la Nouvelle Vague française, sans le nombrilisme petit-bourgeois qui la caractérise ; la sociologie des protagonistes ici présents n’ayant guère plus de temps à accorder à l’écoute des sentiments qu’aux (dures) contingences matérielles de l’existence. C’est sans doute cette différence majeure qui rend digeste l’œuvre de Colm Bairéad.

3 étoiles sur 5

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

3 commentaires

  1. L’Irlande à quasiment toujours beaucoup souffert ce qui donne à sa littérature et à son cinéma une dimension humaine particulière.

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