Quand un artiste renommé ambitionne de partager ses souvenirs intimes avec le public, cela peut donner lieu à des révélations passionnantes comme aux confessions les plus maladroites ou impudiques. Le support filmique a au moins l’avantage sur le livre de pouvoir lisser les aspérités éventuelles et de sublimer n’importe quel récit autobiographique aussi fade, prétentieux ou convenu soit-il. Quand l’artiste en question est un homme qui contribua – pour le meilleur comme pour le pire – à révolutionner le cinéma, la curiosité du spectateur est forcément piquée.

Avec The Fabelmans, sorti sur les écrans le 22 février, Steven Spielberg s’inspire librement de ses souvenirs d’enfance dans l’Amérique des années 1950 pour nous raconter, sur le mode de la fiction, l’environnement familial dans lequel il a grandi et sa passion naissante pour le cinéma.

Fils de Burt Fabelman, un ingénieur en électronique, et de son épouse Mitzi, une femme au foyer au tempérament artiste, le jeune et timide Sammy Fabelman découvre les salles obscures à l’âge de six ans avec un film à grand spectacle du célèbre Cecil B. DeMille, Sous le plus grand chapiteau du monde. Dès lors, sa vocation est toute tracée. Sammy commence par reproduire avec des jouets et une caméra Super 8 la séquence marquante de l’accident ferroviaire, puis prend l’habitude régulièrement de mettre en scène ses proches, amis et camarades de classe dans des fictions toujours plus inventives. Fuyant le réel à travers ses histoires, Sammy ne voit pas les nuages qui s’amoncellent et menacent peu à peu l’équilibre du couple parental. En travaillant à contrecœur au montage d’un film de vacances, l'adolescent, seul face à son écran, s’aperçoit par quelques étreintes furtives en arrière-plan que sa mère entretient un début de liaison avec le plus vieil ami de la famille – la séquence où Sammy se borne silencieusement à montrer à Mitzi une série d’images sans équivoque pour lui signifier qu’il a compris ce qui se tramait est l’une des plus fortes de la filmographie de Spielberg. Un passage qui ne manquera d’ailleurs pas d’évoquer Blow Out de son ami Brian De Palma… Devenue une banalité depuis le néoréalisme italien, cette idée du cinéma en tant que révélateur du réel a fait long feu, mais le savoir-faire de Spielberg est tel qu’il parvient encore à faire illusion.

Récit d’une jeunesse bouleversée par les déménagements à répétition, marquée par le sentiment de n’être jamais tout à fait chez soi – une thématique récurrente dans ses films –, The Fabelmans nous prouve une fois encore que Steven Spielberg est un cinéaste de l’enfance, lui qui n’a cessé d’exalter tout au long de sa carrière la figure du jeune incompris des adultes. Car à l’image de son ami François Truffaut (Les Quatre Cents Coups), Spielberg est de ces cinéastes qui, en faisant continuellement la leçon aux parents et en donnant systématiquement crédit aux enfants – mis sur un pied d’égalité –, ont largement contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons. Un monde dans lequel l’enfant-roi hyper-consommateur impose ses caprices à l’ensemble du foyer, refuse de grandir et se construit dans un rapport narcissique au monde extérieur.

Si on laisse de côté ces considérations, The Fabelmans est un film parfaitement maîtrisé, savamment dosé entre humour et drame, et riche d’informations pour ceux qui s’intéressent à la trajectoire de Spielberg. C'est peut-être le film le plus personnel de sa carrière, le plus intimiste également. Le cinéaste ne nous avait pas autant emballé depuis Munich en 2005…

4 étoiles sur 5

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03 mars 2023 à 12:41

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